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Aquarelle de Germain Nouveau réalisée par Jean Aubertin pour la chambre 47 de l’Hôtel Littéraire Arthur Rimbaud.

 Voici la présentation de l’une des dernières acquisitions de la Société des Hôtels Littéraires, une rare et précieuse édition originale du recueil poétique Savoir aimer, écrit par un ami intime d’Arthur Rimbaud, Germain Nouveau (1851-1920).

Ces quelques lignes ont été publiées dans le catalogue de la Gazette Drouot :

In-12, maroquin janséniste vert, dos à nerfs, doublures et gardes de box brun, tranches dorées, couverture conservée (Loutrel).
Édition originale tirée à 200 exemplaires, sous les auspices de la Société des poètes français.
Pas de tirage sur grand papier.

Édition confidentielle, publiée par souscription grâce à l’initiative de Léonce de Larmandie à l’insu de l’auteur et contre sa volonté. Le titre porte son surnom d’Humilis. La légende veut que Germain Nouveau ait détruit tous les exemplaires qui lui tombaient sous la main.
Sans aucune ambition littéraire, il s’opposa à toute publication, à l’exception d’une seule plaquette. Le poète vagabond collabora à l’Album zutique et aux Dixains réalistes.

Composé à Paris entre 1879 et 1881, Savoir aimer compte parmi les recueils majeurs de la poésie spirituelle. Les surréalistes ont trouvé en lui un inspirateur.

André Breton, qui lui consacré une notice dans l’Anthologie de l’ humour noir, confesse son trouble face à la conversion du poète. “La pensée la plus souple a peine à ne faire qu’un du jeune homme de vingt et un ans à la voix ensoleillée et aux yeux de mirage qui conquiert aussitôt l’amitié de Rimbaud […] et du mendiant de trente ans courbé sous le porche de Saint-Sauveur d’Aix à qui Paul Cézanne, se rendant à la messe, fera chaque dimanche l’aumône d’un écu.
Le non-conformisme absolu règle pourtant cette vie d’un bout à l’autre.”


Long envoi autographe signé de l’éditeur sur le feuillet de garde :

a Léon Hennique

J’offre ces poèmes d’Humilis que j’ai sauvés de la destruction voulue par leur auteur, un peu resserrés et coordonnés, et intitulés.

Je crois avoir conservé à la littérature universelle un précieux monument.
Larmandie.
Il y a nombre de fautes d’ impression.”

Romancier très lié à ses débuts avec Émile Zola – il collabora aux Soirées de Medan -, Léon
Hennique (1850-1935) devint l’intime de Goncourt – puis son exécuteur testamentaire. Il fut également très proche d’Octave Mirbeau que même l’affaire Dreyfus, pour laquelle ils prirent des partis opposés, ne parvint pas à brouiller.

Mais qui était Germain Nouveau et quelle fut sa relation avec Rimbaud ?

Germain Nouveau (1851-1920) était un poète de trois ans l’aîné de Rimbaud. Il se rencontrèrent à la terrasse du Tabourey à Paris, peu après la rupture de Verlaine et Rimbaud. Ce dernier avait la nostalgie de Londres où il avait laissé tant de bons souvenirs et il organisa très rapidement son départ avec ce nouvel ami. Ils s’installèrent à Stamford Street en 1874.

On les trouve inscrits côte à côte sur les registres de la Bibliothèque du British Museum. L’écriture de Germain Nouveau est reconnaissable sur les manuscrits des Illuminations, au moins dans Villes et la seconde partie de Métropolitain. Il aurait ainsi aidé Rimbaud à recopier ses derniers poèmes en prose pendant cette période.

Germain Nouveau n’aima pas Londres et quitta la ville en juin, laissant son ami seul et triste, mais on sait qu’il n’y eût pas de fâcherie. Rimbaud lui fera passer plus tard le manuscrit des Illuminations par Verlaine, espérant sans doute qu’il trouverait un éditeur.

Il écrivit une dernière lettre à Rimbaud depuis Alger, le 12 décembre 1893, qui arriva trois ans après la mort de son ami qu’il pensait toujours à Aden. C’était signé « ton vieux copain d’antan bien cordial ».

     L’acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales. Impossible d’exprimer le jour mat produit par le ciel immuablement gris, l’éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier toutes les merveilles classiques de l’architecture. J’assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu’Hampton-Court. Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers des ministères ; les subalternes que j’ai pu voir sont déjà plus fiers que des […] et j’ai tremblé à l’aspect des gardiens de colosses et officiers de constructions. Par le groupement des bâtiments en squares, cours et terrasses fermées, on a évincé les cochers. Les parcs représentent la nature primitive travaillée par un art superbe. Le haut quartier a des parties inexplicables : un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés de candélabres géants. Un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d’acier artistique de quinze mille pieds de diamètre environ…

Arthur Rimbaud, Villes – Illuminations. Manuscrit copié par Germain Nouveau