Poèmes de minuit, inédits 1936-1940 de Robert Desnos, aux Éditions Seghers.

La publication d’un trésor qu’on croyait perdu. Soixante-quinze ans après sa disparition, des dizaines de poèmes inédits de l’écrivain surréaliste, résistant mort dans les camps, ont été retrouvés par miracle dans quatre cahiers exhumés lors d’une vente de livres anciens par le collectionneur et bibliophile Jacques Letertre, président de la Société des Hôtels Littéraires.

 

 

« Feuilleter ces pages rares, déchiffrer les mots, découvrir des vers inconnus, soupçonner une variante ou un développement à tel ou tel poème, pénétrer dans le “laboratoire central”, comme disait Max Jacob, d’une œuvre en devenir, constitue à la fois un plaisir et une joie particulière. Le poète est là, à l’œuvre. Dans l’ombre. Spectre bienveillant. L’heure de Desnos est revenue. »

Extrait de la préface de Thierry Clermont

 

 

« Je me lèverai demain matin
Plus tôt qu’aujourd’hui
Le soleil demain matin
Sera plus chaud qu’aujourd’hui
Je serai plus fort demain matin
Plus fort qu’aujourd’hui
Je serai gai demain matin
Plus gai qu’aujourd’hui
J’aurai demain matin
Plus d’amis qu’aujourd’hui
Et bien que demain matin
La mort soit plus proche qu’aujourd’hui
Je serai demain matin
Plus vivant plus vivant qu’aujourd’hui »
Robert Desnos

 

 

Soirée de lancement et présentation du livre le 2 février 2023 à 19h, à l’Hôtel Littéraire Le Swann (Paris 8e). Exposition des cahiers manuscrits et lecture de poèmes par le comédien Pierre-François Garel.

Entretien avec Thierry Clermont, journaliste et écrivain, qui a préfacé les Poèmes de minuit et travaillé à l’appareil critique.

 

 

 

HL – Après San Michele (Seuil, 2014), vous avez écrit un nouveau récit îlien, Barroco bordello (Seuil, 2020), consacré à Robert Desnos et à son séjour à Cuba. Plus récemment, il y a eu La Balade de Galway (Arléa, 2021) sur l’Irlande et les îles d’Aran, puis Long Island, Baby (Stock, 2022), autour de Brooklyn, des Hamptons et de Coney Island.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur les motifs du voyage, des îles et de la poésie dans vos livres ?

TC – On peut dire que je suis atteint du syndrome de « l’islomanie », pour reprendre le mot de Lawrence Durrell. Le monde – si particulier – des îles m’a toujours fasciné : univers à la fois clos et ouvert sur l’extérieur, à la forte identité culturelle, à la grande richesse historique. Ce sont des lieux où je me  sens bien, qu’il s’agisse de longs séjours (j’ai vécu à Cuba il y a une bonne vingtaine d’années, y retournant régulièrement) ou le temps d’une brève découvertes (tout récemment, les îles dites du « Ponant » de Chausey, et de Molène, en mer d’Iroise). Des fréquentations physiques, toujours pour le plaisir, pour la vibration intérieure, et toujours accompagnées de lectures liées aux lieux : biographies, récits, poésie, Journaux…

Blaise Cendrars disait : « Un des grands charmes de voyager ce n’est pas tant de se déplacer dans l’espace que de se dépayser dans le temps. » C’est exactement cela. Le temps de l’Histoire, le temps des autres, mais aussi le temps de soi. Et qu’y a-t-il entre soi et le temps ? Des poèmes écrits, des réflexions, des sensations ? La réponse est dans les livres, dans la prose nourrie de poésie.

 

 

HL – Quelle a été votre première rencontre avec la poésie de Robert Desnos et pourquoi vous intéresse-t-il tout particulièrement ?

TC – C’était au lycée, en classe de seconde. Le professeur de français nous avait fait étudier non pas un poème de Desnos, mais sa célèbre et émouvante lettre adressée à Youki, le 15 juillet 1944, depuis le camp de Flöha, avec son terrible incipit : « Notre souffrance serait intolérable si nous ne pouvions la considérer comme une maladie passagère et sentimentale. Nos retrouvailles embelliront notre vie pour au moins trente ans. » Je me souviens m’être violemment opposé à l’interprétation de mon professeur, qui en avait gommé tout le tragique.

De lui, je ne connaissais alors que le recueil Fortunes, en format poche. Mes préférences, à l’époque, allaient plutôt du côté d’Artaud, de Leiris ou de T.S. Eliot.

Et le temps a passé. Desnos, je l’ai retrouvé en 1999, avec la publication du « Quarto ». C’est à sa lecture que j’ai découvert qu’il avait fait un séjour marquant à La Havane, en 1928. Comme à l’époque je me rendais régulièrement à Cuba, je suis parti sur ses traces, retrouvant l’hôtel où il était descendu (le Lincoln, sur l’avenue du Prado), le Parque Central, les plages populaires de Marianao où Desnos allait écouter les orchestres de son, avec Alejo Carpentier… De cette quête, j’ai tiré un roman, longuement mûri, Barroco bordello. Et depuis cette année 1999, Desnos ne m’a jamais quitté. Je le vois comme un compagnon, un conseiller presque. Un homme à la fois fantaisiste, fou de liberté, intransigeant, provocateur aussi, mettant la fraternité au-dessus de tout. Et longtemps, j’ai partagé sa conception de l’amour.

« Vie d’ébène » est sans doute mon poème préféré, qui débute ainsi :

« Un calme effrayant marquera ce jour

Et l’ombre des réverbères et des avertisseurs d’incendie fatiguera la lumière

Tout se taira les plus silencieux et les plus bavards

Enfin mourront les nourrissons braillards

Les remorqueurs les locomotives le vent. »

 

 

 

 

HL – Vous avez révélé dans un article pour Le Figaro du 28 janvier 2022 la découverte de vingt poèmes inédits de Desnos publiés par la revue des Amis de Desnos, L’Étoile de mer, et ce moment où vous avez pu consulter les manuscrits détenus par Jacques Letertre dans sa bibliothèque ; un grand moment d’émotion ?

TC – Émotion, j’ai envie de dire que le mot est faible. On n’est pas loin du bouleversement. Tout a commencé en juillet 2021, au cours d’un déjeuner en tête-à-tête avec Jacques Letertre. Entre la poire et le fromage, il m’annonce avoir acquis aux enchères, pour le compte de la Société des Hôtels Littéraires, quatre cahiers de poèmes autographes inédits de Desnos, de très bonne qualité, et datant de 1940. Et qu’une partie d’entre eux allaient faire l’objet d’une publication prochaine dans L’Étoile de mer, la revue de l’Association des amis de Robert Desnos. Sur ce, je contacte Marie-Claire Dumas, qui me confirme l’information, en lui demandant de me réserver la primeur de cette sélection, pour Le Figaro. La pleine page consacrée à cette exhumation inespérée a paru six mois plus tard, avec le retentissement que l’on sait. Entre-temps, Jacques Letertre m’avait invité à découvrir chez lui les quatre fameux cahiers, protégés par des chemises‐étuis de maroquin rouge en parfait état, avec l’écriture soignée, parfaitement lisible, émaillée de dessins, du poète.

   Feuilleter ces pages, en prenant son temps, dans le silence, sous le regard ému de Jacques, découvrir tel ou tel poème, que très peu de personnes connaissaient, a été un vrai chamboulement. Il y avait de quoi. Comme si on devinait ou pressentait la présence du poète, près de 80 ans après sa disparition. Et d’emblée, nous avons évoqué, d’un commun accord, la possibilité d’une « issue éditoriale » pour ces précieux inédits. C’est alors que j’ai contacté Antoine Caro, qui avait repris quelques mois auparavant la direction des éditions Seghers.

 

 

 

 

HL – Ces poèmes inédits font l’objet d’une publication dans leur intégralité aux Éditions Seghers, à paraître le 2 février 2023. C’est vous qui avez établi l’édition et préfacé le volume, pourriez-vous nous raconter en quoi a consisté votre travail sur ces poèmes ?

TC- Pour être plus précis, l’édition a été établie par moi-même, et par le directeur des Éditions Seghers, Antoine Caro, qui a accompli là un travail énorme, précis, en un temps record, notamment de déchiffrage. Cela s’est fait en duo, et en bonne intelligence : nous étions sur la même longueur d’ondes, avec une passion partagée, égale. Ainsi, d’emblée, nous sommes tombés d’accord pour écarter les variantes de poèmes qui plus tard ont intégré les recueils Fortunes et État de veille, publiés respectivement en 1942 et 1943. Quant au titre de ce volume inédit, Poèmes de minuit, c’est Antoine Caro qui l’a trouvé ; et il est parfait.

 

 

 

HL – Quels sont vos vers préférés ?

TC- Le choix est difficile, il y en a tant. Mais j’aime particulièrement ceux-ci, composés en février 1936 : « Gaieté si chèrement gagnée / Amitiés trahies / Paysages enfuis / Pavés brisés à coups de talons / Pluies d’orages / Mais je te tiens gaieté à la gorge / Et si tu meurs ce sera de rire / La chanson molle / S’étire au long des avenues. »

Et ces vers prémonitoires, écrits en mars 1938 : « Moi, incapable de reculer / Capable de me faire tuer / Plutôt que de céder un pouce (…) / J’ai vu, compris, choisi »

 

HL Avez-vous d’autres projets d’écriture prévus cette année ?

TC – Depuis bientôt deux ans, j’ai en chantier un nouveau projet, un récit de voyage, portant sur diverses îles. Parallèlement, les éditions Rivages publieront à l’automne 2023 un ensemble de fragments poétiques en prose, de pensées, d’aphorismes, de citations détournées, de propos incongrus ou intimistes, sous le titre J’ose m’exprimer ainsi, avec une préface inédite de l’académicienne Chantal Thomas.

 

 

Pour ceux qui voudraient en savoir plus en attendant la parution du livre, retrouvez ici notre entretien avec Jacques Letertre à propos de la découverte des manuscrits :

https://www.hotelslitteraires.fr/2021/08/06/quatre-cahiers-de-123-poemes-autographes-de-robert-desnos-dont-85-inedits-par-jacques-letertre/

 

 

Propos recueillis par Hélène Montjean