ENTRETIEN CROISÉ – Après Le LoupLe Cerf et le Chien, Raphaëlle Saudinos et Véronique Vella mettent en scène Le Chien, un autre des Contes du chat perché, au Studio-théâtre de la Comédie-Française. Entretien croisé auquel s’est jointe Marinette, Elsa Lepoivre.

par Anthony Palou, pour Le Figaro

 

Véronique Vella dans le rôle de la souris (au premier plan), Jean Chevalier, le chat (à droite) et Yoann Gasiorowski, le musicien (en arrière-plan), dans Le Chien, au studio-théâtre de la Comédie-Française, à Paris, le 19 mars. Christophe Raynaud de Lage

 

L’une s’est fait des couettes, l’autre se fait souris : les sociétaires de la Comédie-Française retombent pour la troisième fois en enfance avec une nouvelle mise en scène d’un conte de Marcel Aymé. Interdiction, certes, de toucher au texte, à la virgule près, mais avec toute liberté pour scénographier l’univers de ces personnages merveilleux. Delphine et Marinette vont une fois de plus nous ouvrir la porte de la ferme enchantée.

 

LE FIGARO. – Quelle fut la genèse de ces Contes du chat perché portés à la scène ?

Véronique VELLA.- Nous avons monté Le Loup en 2009 à l’initiative de Muriel Mayette-Holtz, ancienne administratrice de la Comédie française. Elle nous avait proposé de renouveler les programmations pour enfants et elle avait pensé à un conte de Marcel Aymé, parce qu’elle adore Delphine et Marinette. Je lui ai répondu : « C’est rigolo, car ma grand-mère m’a appris à lire avec ces deux petites filles. » Lorsque j’étais malade, elle me faisait l’école sur la table de la cuisine. Muriel nous avait dit aussi : « Montez le conte que vous voulez. Lisez-les tous, mais je trouve qu’il serait judicieux de choisir Le Loup. » Alors, on a lu Le Loup, et on s’est dit qu’elle avait raison.

Aujourd’hui, vous montez Le Chien… Pourquoi Le Chien ?

Raphaëlle SAUDINOS. – Tout d’abord, on ne pensait pas du tout faire un triptyque. Pourquoi Le Chien ? On a travaillé avec toute cette équipe à deux reprises et on avait envie de retrouver notre Delphine et notre Marinette. Et il y avait Jérôme Pouly qui interprétait le père dans Le Loup et qui jouait le Chien dans Le Cerf et le Chien. Lorsqu’on a pensé à ce troisième épisode, nous avions envie de donner un rôle tout particulièrement riche à Jérôme.

Et puis, nous avions envie de voir grandir Delphine et Marinette, de raconter un chemin de vie. On est tombé sur Le Chien, parfait pour Jérôme. La vie étant pleine d’imprévus, il n’a pas été disponible, et c’est Nicolas Lormeau qui, finalement, l’interprète.

 

Un chien aveugle et nécessiteux qui troque sa cécité…

Elsa LEPOIVRE. – Oui, la violence de la cécité du chien nous amène un peu ailleurs que sur les deux autres contes. Ce sont des contes qui se finissent rarement bien. À la fin du Cerf et le Chien, le Cerf meurt et, à la fin du Loup, on lui ouvre le ventre pour récupérer les deux petites qu’il a mangées. À leur place, on lui met une grosse pierre qui lui fait très mal au ventre. Dans Le Chien , l’animal repart, fidèle malgré tout, avec son maître maltraitant.

 

Marcel Aymé disait « Les gens qui écrivent pour les enfants ne se proposent plus de les amuser, mais de les faire rigoler. Toute leur ambition est de leur tirer un gros rire baveux d’abrutis microcéphales »

Véronique VELLA. – Les contes de Marcel Aymé ne prennent pas les enfants pour des jambons. Ils ne leur font jamais croire que tout est rose, ne leur donnent pas l’illusion d’un monde parfait. C’est en cela qu’ils sont passionnants, car ils n’éludent ni la cruauté, ni le chagrin.

Raphaëlle SAUDINOS. – Chaque conte travaille sur le rapport à l’autre, sur l’altérité qui fait grandir. Chacune de ces rencontres contiennent beaucoup de lumière mais aussi une part sombre. Delphine et Marinette ont la chance – et la douleur – de traverser des expériences de vie très intenses. Elles ressortent de leurs aventures enrichies. Leurs expériences sont des leçons que l’on met, parfois, une vie entière à comprendre.

 

Nathalie Parain « Les Chiens » Marcel Aymé, 1948, éditons Nrf.

 

Quelles limites vous êtes-vous données en montant ces contes ?

Véronique Vella. – Nous sommes redevables à Gallimard et aux ayants droit, qui nous ont fait travailler sous une contrainte que je trouve extrêmement fertile, à savoir le droit de mettre en scène les contes, mais sans adaptation possible. Il fallait que le conte soit livré sur le plateau à la virgule près.

On a donc fait le choix suivant : puisqu’on ne peut pas adapter, ça induit une esthétique du spectacle. Toutes les parties narratives existent, y compris les petites incises telles que « soupira-t-il », « dit-il », etc. On aurait pu demander à un narrateur extérieur de le faire, mais on a fait le choix de distribuer ces parties alternativement à tous les comédiens.

Elsa LEPOIVRE. – Lorsque les filles m’ont proposé pour la première fois Le Loup, je ne connaissais pas les contes. Comment rêve-t-on un conte sur un plateau de théâtre ? Comment dire ces incises narratives ? C’est compliqué, mais ça rend les choses extrêmement vivantes, concrètes.

 

Qui joue Marinette ?

Françoise VELLA. – Le choix d’Elsa s’est immédiatement imposé. Dès l’instant où Elsa s’est mise deux couettes, on a su que c’était Marinette pour toujours. On aime la comédienne et la personne. Elsa, c’est Phèdre, c’est Sophie von Essenbeck dans Les Damnés, mais Elsa, c’est aussi un clown. Et c’est ainsi qu’elle est parfaite dans la peau d’une petite fille de 7 ans.

 

Et la Souris ?

Raphaëlle SAUDINOS. – Véronique n’avait pas le désir d’être sur le plateau. Nous étions toutes les deux à la mise en scène. Moi, je voulais qu’elle soit sur le plateau, car je connais bien la comédienne et la chanteuse. Elle a été Delphine dans Le Cerf et le Chien. J’avais aussi la possibilité d’écrire des couplets pour le spectacle, et j’ai écrit Le Blues de la Souris, qui a un peu les boules de devenir aveugle à son tour. Il fallait la voix de Véronique pour le chanter. De plus, physiquement parlant, Véronique a quelque chose de la souris, non ?

Véronique VELLA.- Raphaëlle m’a eue avec ce Blues de la Souris. Je me suis toujours dit : Je ne sais pas si la musique adoucit les mœurs? mais je suis sûre qu’elle adoucit le théâtre. » Je viens de la musique. J’ai longtemps hésité, et le hasard a fait que je suis entrée à la Comédie-Française, mais dès que j’ai eu l’occasion d’y chanter, je l’ai fait. Quand on monte des spectacles tout public, les enfants gardent en tête les chansons.

 

Vos spectacles sont aussi une invitation à la lecture…

Raphaëlle SAUDINOS. – Il y a la lecture pour soi, ensuite la lecture à voix haute et, enfin, la lecture par des comédiens qui est peut-être l’ultime étape pour donner aux enfants le désir d’écrire leurs propres contes. Mais à la base de tout, il y a le souffle, une pensée, une pulsation.

 

Le sens dans le son…

Véronique, Raphaëlle et Elsa (de concert). – Exactement.

 

Dialoguer avec un animal, voilà le merveilleux, n’est-ce pas ?

Véronique VELLA.- Oui, et ça ne surprend personne. Je ne regarde pas de la même façon ma chienne depuis que je lis avec délectation les contes de Marcel Aymé. Je me dis, tiens, elle va peut-être me dire des trucs.

 

Le merveilleux, c’est aussi ouvrir l’imaginaire des enfants…

Raphaëlle SAUDINOS. – C’est l’ambition première. Depuis que les enfants naissent avec un téléphone portable au bout de la main, il y a un grand déficit d’imaginaire. D’où l’importance de la lecture.

Véronique VELLA. – Les Contes du chat perché, ce sont des étagères entières de philo offertes aux enfants.

 

Le Chien – Les Contes du chat perché (à partir de 7 ans), jusqu’au 7 mai au studio-théâtre de la Comédie-Française, 99, rue de Rivoli, Carrousel du Louvre (Paris 1er).
www.comedie-francaise.fr