Lauréate du prix Céleste Albaret 2018 pour son livre Une jeunesse de Marcel Proust, aux éditions Stock, Évelyne Bloch-Dano a séjourné à l’Hôtel Littéraire Le Swann le temps d’une nuit pour raconter cette expérience proustienne unique.

 

 

     “Il fut un temps où, le croirez-vous, on pouvait aller librement à l’hôtel, y séjourner aussi longtemps qu’on voulait et avec qui l’on désirait… On pouvait même y dîner et y prendre son petit déjeuner. On ne portait pas de masque. On serrait la main des gens pour les saluer, ou même, on les embrassait.

     C’est avec nostalgie que je songe aux deux nuits que j’ai passées à l’Hôtel Swann à Paris. Habitant la banlieue ouest, je sortais de la gare Saint Lazare et je remontais la rue de Rome qui m’évoque bien sûr les soirées de Stéphane Mallarmé mais surtout ma chère Alexandrine Zola qui y habita après la mort de son Emile. Côté gauche, je flâne devant les devantures des magasins de musique. J’ai acheté dans l’une d’entre elles la biographie de Gustav Mahler par Henry-Louis de la Grange qui allait devenir mon livre de chevet durant des mois et des mois quand j’ai écrit L’Âme soeur.

     Un hôtel est par essence un lieu romanesque. Il peut s’y passer toutes sortes de choses. On est dans sa chambre sans être dans sa maison, on dort dans un lit qui n’est pas le sien – j’évite en général d’imaginer que d’autres se sont allongés où je m’étends à mon tour, mais passons. Revenons au romanesque.

     A l’hôtel Swann, vous êtes plongé dans un véritable univers littéraire, celui de Marcel Proust. Entourée de livres, de documents, d’éditions originales rassemblées par le propriétaire des Hôtels littéraires, le collectionneur Jacques Letertre, j’hésite : monter dans ma chambre douillette ou m’installer au salon pour lire ? « Empruntez les livres que vous voulez » me dit le charmant directeur, « vous êtes chez vous ! » J’adore décidément cette idée d’être chez moi sans y être. Oui, je suis bien dans mon univers à l’Hôtel Swann, au milieu de toutes ces éditions en langue étrangère d’A la Recherche du temps perdu comme des visiteuses venues du monde entier, parmi les personnages familiers de l’entourage de Proust ou de son oeuvre, entourée de portraits, d’éditions originales, de manuscrits. Il y a même mes propres livres, le comble du narcissisme ! Pour un peu, je demanderais à cette chère Céleste Albaret de m’apporter un thé…et pourquoi pas, une madeleine. Mais fuyons les clichés. Je n’aime pas tant que cela les madeleines, et je n’oublie pas que, dans une version antérieure du texte, il était d’abord question d’une biscotte…

     Dans le cocon de ma chambre, je paresse dans mon bain et je m’allonge pour dormir. J’ai la chance d’être une dormeuse facile, rarement en proie à l’insomnie. Dans les hôtels, je crains seulement le bruit de la rue et celui de l’ascenseur. Ma chambre sur cour est aussi silencieuse que la cellule capitonnée de liège de Marcel. Je songe aux innombrables nuits que celui-ci passa sans dormir, étouffant ou enfermé dans ses écrits. Son angoisse dans les chambres d’hôtel inconnues, attentif aux bruits étrangers, aux moindres vibrations de l’atmosphère. Et je m’endors…

     Voici le matin, le roucoulement des pigeons, le petit déjeuner au lit, l’odeur du café, les croissants frais, les sons assourdis de la vie qui repart.

     Dehors, c’est le printemps, déjà.”

 

Evelyne Bloch-Dano