Les Jules Verne de l’Impératrice, suite – Un roman de Jules Verne à la provenance exceptionnelle

 

Un nouveau roman de Jules Verne à la provenance exceptionnelle vient de prendre place dans la bibliothèque de l’Hôtel Littéraire Jules Verne à Biarritz.

Il s’agit des Anglais au Pôle nord, première partie des Voyages et Aventures du capitaine Hatteras, publié en 1864 à la Bibliothèque d’éducation et de récréation de Pierre-Jules Hetzel. Cette présente édition est au format in-18°, sans illustrations, et on peut la dater entre 1866 et 1870, à la toute fin du Second Empire. [1]

La reliure porte au dos l’aigle impérial et la couronne. Elle est signée Adriaensen, dont les reliures sont fort peu courantes, et qui officia rue de Villeneuve à Paris entre 1850 et 1880. Il aurait notamment travaillé pour les frères Goncourt.

 

 

L’ouvrage présente une provenance des plus singulières !

À la présence des armes impériales s’ajoute une note manuscrite à la mine de plomb en tête à la première garde indiquant que l’ouvrage

« acheté́ à Toulon en février 1872, provient du mobilier du yacht impérial L’Aigle ».

 

 

 

Le livre provient donc de la bibliothèque du yacht impérial, L’Aigle, vendu à Toulon au début de 1872, après la chute de l’Empire. Il avait navigué en Méditerranée, emmenant plusieurs fois l’empereur à Alger. Lors de l’inauguration du canal de Suez en 1869, l’impératrice Eugénie se trouvait à son bord, en compagnie de Ferdinand de Lesseps et de sa famille.

Ce roman rejoint les titres verniens de la bibliothèque impériale réunis par l’Hôtel Littéraire Jules Verne : Les Aventures du capitaine Hatteras – Le Désert de glace, De la Terre à la Lune et les trois volumes des Enfants du Capitaine Grant.

Ils avaient été acquis par l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, qui les fit élégamment relier à son chiffre : “une reliure d’époque en demi-basane verte maroquinée avec un dos lisse orné du même chiffre couronné en pied et en queue” : celui de l’impératrice Eugénie.

 

 

Ces livres sont un des éléments qui relient la ville de Biarritz au romancier Jules Verne et dont nous avions parlé sur ce même blogue dans un précédent billet avec Jacques Letertre, président de la Société des Hôtels Littéraires :

« Ces volumes proviennent de la bibliothèque personnelle de l’impératrice et furent mis à la disposition de son fils, le prince impérial, alors âgé d’une douzaine d’années.

Compte-tenu du format des livres, des petits in-18° qui ne ressemblent pas encore à ce que seront les grands cartonnages Hetzel (in-8°), on peut imaginer qu’il s’agissait de livres provenant d’une bibliothèque de campagne ou de sa bibliothèque de voyage.

L’impératrice fit au moins treize séjours longs à Biarritz – dont le dernier en 1869 – et on peut raisonnablement penser que ces livres voyageaient avec elle.

Ce sont les premiers titres de Jules Verne, encore dans sa période très anglophile, notamment Les Aventures du capitaine Hatteras et Les enfants du capitaine Grant. Les volumes ne portent pas l’ex-libris de l’impératrice qu’elle utilisera plus tard, dans son château de Farnborough en Angleterre, à partir de la chute de l’Empire et de la mort de Napoléon III en 1873.

Cet achat de l’impératrice est assez étonnant car Jules Verne est encore à peine connu à la fin de l’Empire. Le succès du Tour du monde en quatre-vingts jours viendra en 1872 et il connaîtra ses heures de gloire sous la IIIe République. Elle est en avance sur son époque.

Si elle en a acheté d’autres après, elle ne les fit plus relier à son chiffre car la chute de l’Empire intervint en 1870.

Il est à noter que les armes ou les chiffres se mettent habituellement sur le plat du livre et non pas sur le dos, ce qui consolide la thèse selon laquelle ces livres sont des petits exemplaires de voyage destinés à sa bibliothèque de campagne.

C’est un signe de modernité intéressant chez Eugénie de Montijo, tenante du parti catholique, qui passe pour assez conservatrice. Elle fait acheter les romans de Jules Verne chez l’éditeur Hetzel, qui était connu pour ses idées républicaines et dont le projet éditorial consistait justement à lutter contre la littérature assez mièvre proposée à la jeunesse de l’époque. “

 

Avec l’acquisition de ce volume, on peut ainsi compléter cette bibliothèque de voyage constituée pour le prince impérial à bord du yacht l’Aiglon.

Un nouvel indice donné par l’ouvrage permet de mieux comprendre la présence des premiers romans de Jules Verne dans la bibliothèque impériale : la mention « AUGUSTE FONTAINE », est inscrite en lettres dorées au fer sur la chasse en gouttière au contreplat supérieur.

Selon la notice du libraire, « Auguste-Carolin-Jean Fontaine (1813-1882) s’établit comme libraire à Paris en vendant des livres courants et des livres d’étrennes. Dès 1854, cependant, il proposa, dans sa boutique du passage des Panoramas, des livres anciens et précieux. Connu du tout-Paris, il contribua à former le goût du beau livre. Sous le règne de Louis-Philippe, Auguste Fontaine fut nommé́ libraire de la cour et dépositaire des fers armoriés ; à la restauration de l’Empire, il fut chargé de former la bibliothèque de l’Impératrice Eugénie. »

On peut raisonnablement penser que c’est grâce à lui que ces premiers titres de Jules Verne furent acquis pour la bibliothèque impériale. D’autant plus que son plus proche collaborateur et successeur, Émile Rondeau, avait fait ses premières armes chez Hetzel en qualité de secrétaire.

 

 

 

Laissons le mot de la fin à l’écrivain et géographe Julien Gracq, autre grand amateur de Jules Verne :

« Et nul ne me donnera jamais honte de répéter que les Aventures du capitaine Hatteras sont un chef-d’œuvre. »
Julien Gracq, LettrinesI.

 

 

Pour en savoir plus :

https://www.hotelslitteraires.fr/2021/08/04/les-jules-verne-de-limperatrice/

https://www.hotelslitteraires.fr/2020/04/02/voyages-et-aventures-du-capitaine-hatteras-jules-verne/

 

[1] À propos de la datation, un éminent spécialiste vernien, Volker Dehs, nous précise : « Comme il s’agit de la “septième édition”, la parution du livre peut être datée de manière plus précise. Les 6e et 7e éditions (à mille exemplaires chacune) forment le 3e tirage du roman (imprimeur Poupart-Davyl, Paris) ; les tirages précédents et suivants sont dus à Toinon, Saint-Germain, dont le dépôt légal est signalé dans la Bibliographie de France en date du 15 février 1868. Le livre a donc été lancé dans le courant de cette année. »