Journal de Stendhal

 

« Je pourrais faire un ouvrage qui ne plairait qu’à moi et qui serait reconnu beau en 2000 »

Stendhal, Journal, 31 décembre 1804.

 

 

Stendhal a toujours expliqué écrire pour de futurs lecteurs qu’il n’estimait pas encore nés à son époque.

   Son Journal est sa première entreprise littéraire et ne ressemble à aucun modèle du genre. Inutile d’y chercher les états d’âme d’un être asocial ou un document historique écrit par le dragon de la Grande Armée ou par le diplomate de la monarchie de Juillet. Ce n’est même pas vraiment le laboratoire du futur écrivain, malgré quelques fulgurances dont il se servira par la suite.

 

 

   Poursuivi assidûment de 1801 à 1817, puis épisodiquement jusqu’en 1823, le Journal de Stendhal est un document unique par son projet même, qui est d’écrire sa vie au moment où elle vient d’être vécue, à chaud et en toute sincérité, sans se soucier du style. Son secret : « Être soi-même et n’être que cela ».

 

« J’entreprends d’écrire l’histoire de ma vie jour par jour. Je ne sais si j’aurais la force de remplir ce projet, déjà commencé à Paris. Voilà déjà une faute de français : il y en aura beaucoup, parce que je prends pour principe de ne pas me gêner et de n’effacer jamais. »

Stendhal, Journal, 1801

 

    Le texte est d’une lecture parfois malaisée, par sa spontanéité même et son aspect décousu. Stendhal mêle des phrases en anglais et en italien à tout propos, sans qu’on sache bien s’il désire ainsi compliquer la lecture à d’éventuels lecteurs indiscrets ou simplement s’il aime s’exprimer dans la langue qui lui vient le plus spontanément à l’esprit.

   Il évoque pêle-mêle, au fil de la plume et de l’inspiration, ses sensations et ses projets, ses lectures, ses voyages et ses amours – heureux ou déçus : Victorine, Mélanie, la comtesse Daru et Angela, désignées sous des noms variés -, l’état de sa bourse et le détail de toutes ses soirées au théâtre et à l’opéra. Il a conscience de sa passion la plus importante, “the love of glory”, qui cède souvent devant l’amour des femmes ; il raconte son culte pour Molière et Shakespeare, prends des leçons de théâtre et se découvre une “âme sensible”, comme peu d’hommes et de femmes en possèdent. Il bute aussi sur la difficulté d’écrire sa vie et le choix inévitable de vivre ou bien d’écrire : “Journée délicieuse. J’en gâterais le plaisir en la décrivant.” (mars 1805).

   Quel est l’objet de tout ceci ? Stendhal ne cesse de le répéter : apprendre à se connaître soi-même, découvrir l’art d’émouvoir les hommes et trouver sa propre recette du bonheur (l’arte di godere).

Voici la recette proposée en 1806 :

“1° Supporter les chagrins en les sentant le moins possible, et m’en distraisant le plus que je pourrais. C’est possible, car je les supporte bien mieux que je ne faisais il y a deux ans, lorsque je demeurais dans ma petite chambre au quatrième chez Paquin, et que la colonnade du Louvre et les étoiles me faisaient une si grande impression.

2° Apprendre à travailler, à produire. Mon esprit est extrêmement paresseux tant qu’il trouve à lire, il ne fait rien, il a une paresse extrême pour inventer. Cette route mène tout droit à la médiocrité.”

 

   Il raconte son éblouissement et son émotion à la découverte de Milan et du théâtre de la Scala, relate en quelques lignes discrètes l’incendie de Moscou et la retraite de Russie, qu’il a vécu trop intensément pour en parler, sa tristesse devant la chute de Napoléon et le retour du régime de “l’éteignoir”. Puis les notes se font plus rares, et peu à peu, le diariste s’efface pour laisser place à l’écrivain.

 

 

 

 

Hélène Montjean