Marcel Aymé chez Mmes de Sévigné et de Grignan
par Michel Lécureur,
éditeur des Œuvres complètes de Marcel Aymé dans la Pléiade et auteur d’une biographie en deux volumes de l’écrivain (Édilivre, 2017).
On connaît tous la Marquise de Sévigné et sa correspondance passionnante sur la vie au XVIIe siècle. Adressées à sa fille, Mme de Grignan, ses lettres avaient essentiellement pour but de la tenir au courant des faits et gestes de la cour de Louis XIV. Madame de Grignan, elle, vivait dans son château provençal, au-dessus d’un village éponyme, qui possède notamment une splendide terrasse d’où l’on découvre un paysage époustouflant. La marquise de Sévigné elle-même, s’est extasiée devant la beauté que l’on peut y contempler.

Crédits : Loic Julien
« Toutes vos vues sont admirables ; je connais celle du Mont Ventoux. J’aime fort tous ces amphithéâtres, et suis persuadée, comme vous, que si jamais le ciel a quelques curiosités pour nos spectacles, ses habitants ne choisiront point d’autre lieu que celui-là pour les voir commodément, et en même temps, vous en aurez un le plus magnifique du monde, sans contredit. »
La forteresse avait été détruite lors de la révolution, mais elle a heureusement été restaurée depuis. Elle accueille, de nos jours, de multiples manifestations culturelles, dont des lectures de lettres inattendues, présentées ici comme « intempestives ».
Vu sous cet angle, Marcel Aymé y avait tout à fait sa place, car, dans une partie importante de sa correspondance, il n’a pas manqué de surprendre, voire de décontenancer, son lecteur. C’est ce qu’a fort bien compris Agnès Akérib, auteure d’un excellent Marcel Aymé, pourfendeur du délit d’opinion (éditions Triartis). Journaliste au Midi Libre et directrice de Collections, elle a su capter la singularité de Marcel Aymé dans sa littérature épistolaire.
Le titre choisi par Agnès Akérib reprend celui d’un article particulièrement virulent paru en 1950 dans le Crapouillot. Marcel Aymé y fustigeait les compromissions de beaucoup de juges avec le régime de Pétain.
S’il existe effectivement plusieurs lettres de Marcel Aymé très agressives, la plupart restent de bon ton et témoignent de sa gentillesse et de son humour. Voici, par exemple, celle qu’il a adressée à François Mauriac qui l’avait pressenti pour entrer à l’Académie française en 1959.
« Cher François Mauriac,
Je vous suis très reconnaissant d’avoir pensé à moi pour le Quai Conti et de l’avoir écrit dans Le Figaro littéraire. C’est avec beaucoup d’émoi que je réponds à votre « clin d’œil » qui me rend très fier. Pourtant, je dois vous dire que je ne me sens pas l’étoffe d’un académicien. En tant qu’écrivain, j’ai toujours vécu très seul, à l’écart de mes confrères, mais pas du tout par orgueil, bien au contraire, plutôt par timidité et indolence aussi.
Que deviendrais-je si je me trouvais tout à coup dans un groupe de quarante écrivains ? J’en perdrais la tête et à coup sûr je n’arriverais pas à lire mon discours. Aussi feriez-vous une piètre acquisition.
Quant à mon appartenance à la droite, je vous en parlerai une autre fois. Je ne veux pas vous importuner aujourd’hui d’une lettre qui risquerait d’être longue.
Merci de tout cœur, cher François Mauriac.
Et croyez, je vous prie, à mes sentiments les plus sincères.
Marcel Aymé : Lettres d’une vie. Les Belles Lettres/Archimbaud, 2001
Michel Lécureur