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Comme chaque année, la remise du prix Max Jacob a eu lieu à l’Hôtel Littéraire Le Swann le 24 mars 2025, en présence de la présidente de l’association des Amis de Max Jacob, Patricia Sustrac et de l’ensemble des membres du jury :

Mohammed Aïssaoui, Adeline Baldacchino, Pierre Brunel, Vénus Khoury­-Ghata, Jean­-Yves Masson, Jean Orizet, Jean-Baptiste Para, Lionel Ray, Jean-­Pierre Siméon.

 

Les lauréats de cette année 2025 :

Pascal Commère, Garder la terre en joie (Tarabuste) et Gabriel Zimmermann, Plus loin que l’atelier (Tarabuste), Lauréats du Prix Max Jacob

Ludivine Joinnot, Sans lassitude des paysages (L’arbre à paroles) Mention “Découverte”

Aleš Šteger, Au-delà du ciel sous la terre traduit du slovène par Guillaume Métayer (Gallimard) Prix Max Jacob étranger

 

 

 D. Meskache, P. Commère et J.-P. Siméon / Remise du prix Max Jacob 2025 à l’Hôtel Littéraire Le Swann

Voici le discours de réception de Pascal Commère, PRIX MAX JACOB 2025

Bonjour à toutes et tous,

Des remerciements avant toutes choses… À l’Association des Amis de Max Jacob, aux membres du Jury, à commencer par son président, Jean-Baptiste Para, sans oublier les Éditions Tarabuste, Djamel, Claudine et Tatiana, qui ont donné existence au livre primé aujourd’hui et assuré, j’imagine, le service après-vente, si je puis dire ainsi.

On ne reçoit pas un prix tous les jours. Pas plus qu’on ne fait de discours, du reste. Le protocole, ce n’est pas vraiment notre affaire. J’ouvre un livre de Thomas Bernhardt, Mes prix littéraires. On connaît l’humour mordant de l’auteur. Qu’on en juge : « Pour l’attribution du prix Grillparzer de l’Académie des sciences de Vienne il fallait que je m’achète un costume, car j’ai soudainement pris conscience, deux heures avant la remise solennelle, que je ne pouvais décemment me présenter habillé d’un pull et d’un simple pantalon à cette cérémonie indubitablement extraordinaire, et j’avais donc  bel et bien décidé, alors que je me trouvais sur le Graben en plein centre de Vienne, de rejoindre l’artère commerçante du Kohlmarkt et de m’habiller avec la solennité appropriée ».

Je n’en ai rien fait quant à moi.

D’autant que j’ignorais qu’on pût recevoir un prix littéraire sans s’y être présenté. Il faut croire que d’autres l’auront fait pour moi, ce dont je  leur sais gré. Il est de fait qu’il en fut ainsi chaque fois qu’une distinction m’échut, ce qui arriva quelques fois malgré tout. Même scénario alors, même surprise : je ne savais pas que je concourais. Ce qui, entre nous, m’aura évité des attentes inutiles, des déceptions. 

Et puis, ne vivant pas à Paris, je me suis petit à petit éloigné de ces attributions, certes gratifiantes, mais dont j’avais fini par penser qu’elles s’adressaient à d’autres. Ce en quoi je me trompais. La preuve !

La chose reste assez singulière toutefois. Puisque l’annonce de l’obtention du prix m’arriva un matin, alors qu’au volant de ma voiture je me rendais à l’enterrement d’un vieil ami, Biagio Pancino pour ne pas le nommer, lui qui dans la seconde partie de sa vie ne peignait plus que des pommes de terre. C’est dire si mes pensées batifolaient ailleurs ce matin-là. 

Je devais cependant me rendre à l’évidence : j’étais lauréat du prix Max Jacob. Ҫa alors ! 

Rentré à la maison j’interroge Wikipédia, qui m’apprend que sa création remonte à 1951. L’année de ma naissance, tiens donc ! J’en profite pour consulter la liste de mes prédécesseurs. Que de noms, de noms prestigieux ! Dont certains furent ou sont encore des amis. Comment ne pas m’en réjouir !

Une autre raison de satisfaction, d’un autre ordre cette fois, est que ce Prix, que je partage avec Gabriel Zimmermann, m’aura permis de découvrir une poésie (la sienne) dont je salue la force et l’authenticité. Je m’étonne seulement de ne pas en avoir pris connaissance plus tôt. Il n’est jamais trop tard pour pallier ses lacunes.

Mais je ne veux pas terminer sans avoir une pensée pour celui auquel le Prix doit son nom, Max Jacob, dont les poèmes nous révèlent maintes facettes de son personnage, gravité mais aussi fantaisie. À ce sujet je ne peux oublier l’enchantement de notre fille, enfant, à qui je lisais quelques Poèmes de Morven le Gaëlique, dont celui-ci (nous avions poules et chat en ce temps-là à la maison) :

J’ai perdu ma poulette

et j’ai perdu mon chat

Je cours à la poudrette

si Dieu me les rendra.

Je vais chez Jean Le Coz

et chez Marie Maria.

Va-t’en voir chez Hérode

Peut-être il le saura.

Passant devant la salle

toute la ville était là

à voir danser ma poule

avec mon petit chat.

Tous les oiseaux champêtres

sur les murs et les toits

jouaient de la trompette

pour le banquet du roi.

Merci de votre présence.

Discours du PRIX MAX JACOB « Etranger » 2025 : Aleš Šteger.  Traduit du slovène par Guillaume Métayer.

Chers amis, chers lecteurs de poésie, chers êtres humains !


Je ressens une profonde gratitude et émotion en recevant le prix qui porte le nom et la mémoire de l’œuvre et de la vie de Max Jacob.

De nombreuses traces silencieuses courent entre les poèmes et autres textes que j’écris, les questions qui m’obsèdent et qui déterminent mon travail, et l’œuvre totale de Max Jacob.

Jacob l’innovateur en art. Jacob le clown. Jacob la victime du totalitarisme. Jacob le révolutionnaire. Jacob le mystique. Jacob le rebelle. Jacob l’infatigable chercheur d’absolu. Jacob l’homme d’image. Jacob l’être humain. Jacob seulement et avant tout humain.

Un élément de la biographie de Max Jacob me semble crucial, car il relie et dit tout. C’était en septembre 1910. Je cite :


The Being who appeared on Max Jacob’s wall against the red cloth was masculine and young, with hair flowing down to his shoulders. He wore a yellow silk robe with blue trim. Jacob first saw him from behind, but the Being turned his head, revealing his forehead, brow, and mouth in a peaceful and radiant face.

 L’Être qui apparut sur le mur de Max Jacob, contre le tissu rouge, était masculin et jeune, avec des cheveux qui ruisselaient jusqu’aux épaules. Il portait une robe de soie jaune à franges bleues. Jacob le vit d’abord de dos, mais l’Être tourna la tête, révélant son front, ses sourcils et sa bouche en un visage paisible et radieux.

À present, la partie la plus importante de cette vision religieuse : 


He was standing in a landscape Jacob himself had painted. In an instant, the poet later claimed, his flesh fell to the ground, and he was “undressed by lightning.” Two words echoed in his brain: “To die, to be born.”

 Il se tenait dans un paysage que Jacob lui-même avait peint. En un instant, affirma plus tard le poète, sa chair tomba sur le sol et il fut « déshabillé par la foudre ». Deux mots firent écho dans son cerveau : « Mourir, naître ».

Voilà pour les biographes de Max Jacob. Je souligne une fois encore où et d’où la vision du Christ se présenta devant Max Jacob :

“He was standing in a landscape Jacob himself had painted.”

 Il se tenait dans un paysage que Jacob lui-même avait peint.

Peut-être l’éclat d’une vision connexe, d’un événement total connexe, inexplicable en soi et par là non pertinent, un événement connexe en dehors de toute catégorie et de toute tentative d’explication rationnelle, est-il la raison, pour laquelle j’écris moi aussi. Peut-être une parcelle de quelque chose de plus intelligent, plus puissant et plus durable est-elle la raison pour laquelle j’écris, pour laquelle beaucoup écrivent, peignent ou créent dans quelque substance que ce soit.

Merci à tous pour votre gentillesse, un remerciement particulier aux éditions Gallimard, à Alice Nez, l’éditrice du livre, et surtout à mon cher poète et ami Guillaume Métayer. C’est grâce à lui qu’un rayon de l’éclair mystique de Max Jacob, cette question du pourquoi, pourquoi ainsi, pourquoi justement avec ces mots et ces images et pas autrement, a manifestement pris aussi dans les traductions françaises.

Aleš Šteger