Collection des Hôtels LittérairesHôtel Littéraire Le SwannSélection

Parmi ses collections, la Société des Hôtels Littéraires dispose de la correspondance entre 1921 et 1922 de Paul Morand et de Valentine Hugo. L’ensemble sera prochainement exposé à l’Hôtel Littéraire Le Swann.

De nombreux extraits sont consacrés à Marcel Proust, ami proche de Paul Morand et de Valentine Hugo. Celle-ci fut une artiste-peintre et une illustratrice connue à son époque, amie de Jean Cocteau, d’André Breton et de Paul Eluard. Elle épousa l’arrière-petit-fils de Victor, Jean Hugo, peintre lui-aussi.

Cette première lettre, datée du 16 novembre 1921, a été publiée et éditée dans Paul Morand, Lettres du voyageur aux éditions du Rocher (1988). Elle est particulièrement révélatrice du ton drôle et léger employé dans leurs échanges. Elle évoque aussi l’écrivain Louis Gautier-Vignal dont vous pouvez écouter l’intéressante conférence sur son ami Marcel Proust ici : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/les-grandes-conferences-marcel-proust-souvenirs-retrouves-par-louis-gautier-vignal

Nous vous en donnons la retranscription complète :

“Chère Valentine,

je suis resté longtemps sans répondre à votre carte ; je l’ai perdue et votre adresse, mais non votre souvenir. Vie calme au coin d’un Godin tout rouge. Des notes pour la NRF de janvier ; une nouvelle dans ce même numéro pour la course des Six Jours. J’ai accepté d’écrire à la Ronda de Rome, régulièrement et je sue sang et eau sur de la critique pour laquelle je suis doué comme le crocodile pour le banjo. Je vais vous envoyer ma nouvelle finlandaise qui a paru aux Ecrits Nouveaux au cas où vous ne l’auriez pas lue.

Demain vente Kahnweiller. On s’attend à de hauts prix pour Derain & Vlaminck; à des prix médiocres pour Picasso. Les peintres ne vendent rien et sont dans le marasme depuis la rentrée. Idem pour les théâtres. Les livres ne marchent pas trop mal, car les gens restent chez eux. Irène fait mon portrait. J’ai dîné plusieurs fois avec Marie Laur. et Larbaud, (assez étonnante photo d’elle et de Mme Groult dans Vogue). Les samedis n’ont rien du sabbat. Je n’y vais plus, mais passe pour dix minutes chez Gaya., Jean, Trémoy, Caryathis, Bébé avec un vrai faux col, une ondulation et des guêtres, et un parfum d’alcôve montmartoise.

– Mais vous savez ? Jean très gentil, content d’avoir publié une grande page bien venue sur le grand sommeil, dans les derniers Ecrits Nouveaux. G.Vignal enfin : genre l’azur ! l’azur ! l’azur ! Il a fait la joie de Proust en lui confiant que savoir entrer quelque part est pour un homme la moitié du succès. D’où ces entrées que vous lui connaissez, très étudiées, épaules larges, profil relevé plein d’aisance et de force… Puis, dit Proust, épuisé par cet effort, il s’effondre dans un fauteuil, comme un grand insecte fléchissant et mou… mais il est bien charmant tout de même.

Proust a publié dans les Oeuvres libres un extrait de Sodome II intitulé «Une jalousie» qui est un merveilleux morceau. Vieillesse et prochain trépas de Swann qui redevient le vieux dreyfusard.

– Gide et Larbaud ont trouvé un appartement à Rome pour l’hiver. Aucune nouvelle de Daudet. Milhaud et Wiener mettent sur pied 2 concerts, les 6 (ou 5, ou 4 1/2) de décembre. J’ai été à Londres. La Sleeping Princess de Tchaikovsky, Diaghilev et Stravinsky. Berners écrit un opéra comique sur le Carosse du St Sacrement.

Décrivez-moi l’endroit où vous êtes. Loin de la mer ? Quels arbres ? Cher ? Nourriture ? Gens ? etc… J’irai quelques jours dans le midi en janvier. J’ai bien envie de voir les gouaches de Jean et de sucer (à vide) la pipe en merisier de la rue Montpensier. (Les Jaloux sont obligés de quitter leur appartement, car leur toit s’effondre).

Avec l’affection cardiaque de

Paul Morand,

Réouverture du Palais de glace (dessin)