Les mystères du Château des Carpathes ou le Voyage extraordinaire en Transylvanie, 

par Hélène Montjean

 

 

« Cette histoire n’est pas fantastique, elle n’est que romanesque » nous prévient Jules Verne au début de son roman. Pourtant, très vite, le lecteur a l’impression de se retrouver au beau milieu d’un conte fantastique d’Hoffmann.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le petit village de Werst situé au cœur de la Transylvanie, où les villageois sont particulièrement superstitieux, est le théâtre d’étranges phénomènes provenant du château des Carpathes qui se dresse non loin de là sur le plateau d’Orgall. Ces évènements les terrifient et contribuent à rendre ce lieu désert et isolé.

Verne réunit dans son livre, publié en 1892, tous les ingrédients pour en faire – malgré quelques imperfections, un petit chef-d’œuvre du roman gothique, cinq ans avant le célèbre Dracula de Bram Stoker sur les crimes du vampire des Carpates.

 

 

Un jour, le berger Frik essaie la lunette proposée par un colporteur en braquant l’objectif sur le mystérieux château. L’instrument faillit lui tomber des mains : une fumée s’échappe de l’édifice, pourtant laissé à l’abandon depuis le départ de Rodolphe, dernier baron de Gortz.

C’est alors le début d’un véritable roman policier. Résolu à en avoir le cœur net, le garde forestier Nicolas Deck, fiancé à la belle Miriota, accompagné du médecin Patak, entreprend courageusement une expédition de reconnaissance. Mais tous deux reviennent de l’aventure terrorisés, après avoir été terrassés par des forces surnaturelles. Cette fois, plus personne n’osera défier les mystères du château enchanté.

Mais l’arrivée au village d’un jeune comte, Franz de Télek, accompagné du soldat Rotzko, et qui semble avoir connu personnellement le propriétaire des lieux, Rodolphe de Gortz, va précipiter les événements. Grâce à un rapide retour en arrière, Verne nous conte un superbe drame romantique à travers l’histoire de ces deux hommes amoureux fous d’une célèbre cantatrice italienne, la Stilla, et de sa voix incomparable, morte mystérieusement sur scène quelques années auparavant.

Serait-elle « la belle endormie » du château des Carpathes, selon l’expression du poète Robert Desnos, qui trouvait que ce roman était le plus beau de Jules Verne ?

 

 

C’est alors que l’auteur fait place au genre scientifique. Jules Verne semble s’attacher davantage aux leçons de son mentor Edgar Poe en proposant des explications rationnelles et satisfaisantes à tous les événements mystérieux qui s’étaient déroulés jusqu’alors, démystifiant les phénomènes qui avaient tant effrayés les villageois.

L’inventeur Orfanik, en recréant artificiellement l’image et la voix de la cantatrice par un système d’une perfection impressionnante, aurait ainsi annoncé la télévision ou le cinéma en relief, voire même une forme d’hologramme selon certains spécialistes. En tout cas, les développements de l’électricité et de la télécommunication sont décrits avec précision, notamment le téléphone et même le « téléphote », sorte de visioconférence avant l’heure.

Verne se garde d’oublier sa passion pour la géographie et rend hommage à plusieurs reprises à son ami Elisée Reclus, source précieuse grâce à son article « Voyage aux régions minières de la Transylvanie occidentale » publié dans Le Tour du monde en 1874. L’écrivain porte un regard admiratif sur les travaux du grand géographe, dont les descriptions de voyage sont remplies selon lui de « cette poésie instinctive ».

Tous deux étaient membres de la Société de Géographie de Paris et se trouvaient un ami commun, l’aéronaute et photographe Félix Nadar, qui fit de nombreux portraits de ses deux amis, parmi les autres personnalités de l’époque.

 

Elisée Reclus (en 1889) et Jules Verne (vers 1878) par Félix Nadar

 

Elisée Reclus et Jules Verne possédaient le désir de consacrer leur vie à décrire l’homme et la terre dans son ensemble, avec un même souci de l’écologie très en avance sur leur époque.