Exposition « Langlois, inspirateur de Flaubert »

Entretien avec Guy Pessiot, Ancien éditeur, auteur, collectionneur

 

Guy Pessiot © Tous droits réservés

 

HL – Vous êtes l’un des plus grands collectionneurs de manuscrits, dessins, livres et documents consacrés à l’artiste et dessinateur Eustache-Hyacinthe Langlois, pourriez-vous nous raconter l’origine de cette passion ?

GP – Je suis, depuis plus de 50 ans, passionné par l’iconographie en général et par celle de Rouen en particulier, longtemps deuxième ou troisième ville de France. J’ai, par exemple, publié une dizaine d’ouvrages sur l’histoire de Rouen par la photographie. Je travaille aussi sur les dessins, les peintures et les estampes.

Dans ce domaine et pour la région rouennaise, Eustache-Hyacinthe Langlois (1777-1837), élève de David, est un personnage important et passionnant. Artiste hors pair, il fut parmi les premiers en France, dès les premières années du XIXe siècle, en travaillant pour Alexandre Lenoir et Willemin, à s’intéresser au sort du patrimoine menacé. Il a été aussi le dessinateur de la première Commission départementale des Antiquités créée en France, à Rouen, dès 1818.

Professeur à l’école gratuite de Dessin de Rouen qui a formé tant d’artistes devenus célèbres, il a été hautement apprécié d’un grand nombre d’élèves, d’admirateurs et de collectionneurs, dont la plupart des membres de la famille de Gustave Flaubert.

 

Démolition de l’église Saint-Herbland en 1824, par E. H. Langlois.
Dessin aquarellé, extrait des albums de la commission des Antiquités de la Seine-Inférieure (Archives départementales).

 

 

HL – Qu’avez-vous choisi de présenter au cours de cette exposition présentée du 12 mai au 8 novembre 2022 à l’Hôtel Littéraire Gustave Flaubert ?

GP – Les originaux de E.-H. Langlois sont assez rares, je présenterai le portrait de sa mère sur deux faces, gouache et dessin, ainsi qu’une lettre manuscrite. Ses estampes sont d’inspirations très diverses, des monuments gothiques aux portraits, des dessins scatologiques à ceux sur le thème de la mort, nous en exposerons une trentaine.

Reste ses ouvrages, très rares, car imprimés la plupart à 100 ou 200 exemplaires, le plus souvent par des amis, après sa mort. J’en présenterai une quinzaine, dont plusieurs titres ont été possédés par les Flaubert.

 

Première page de l’album de dessin de E. H. Langlois
par Alfred Dieusy, Rouen, 1885.

 

HL – Comment le jeune Flaubert a-t-il connu et fréquenté cet artiste rouennais important à son époque ?

GP – Le père de Flaubert et Langlois, à peu près du même âge, se connaissaient. Langlois était un habitué de la rue de Lecat, maison natale de Gustave. La fille de Langlois, Espérance, a été mariée avec un Bourlet de la Vallée, famille proche des Flaubert. Les dessins de Langlois, de plusieurs membres de la famille, ont été accrochés sur les murs, jusqu’à Croisset. Il a donné des cours de dessins à la sœur Caroline et au frère Achille qui restera un collectionneur de ses œuvres toute sa vie.

Pour ce qui est de Gustave, celui-ci évoque ses cours dans deux lettres à son ami Ernest Chevalier en 1832. Tout ce que l’on peut en dire, c’est qu’il n’en a tiré aucun profit car nous ne connaissons, de lui, aucun dessin digne de ce nom. L’influence de Langlois sur Flaubert s’est située à un autre niveau.

 

Portrait de E. H. Langlois par le peintre Delacluze, collections du musée des Beaux-Arts de Rouen.
Cette gouache de Jean Delacluze (1778-1858) a été exposée à l’exposition annuelle du musée de Rouen de 1835, du vivant de Langlois, et a même reçu un prix.
Elle est entrée au musée en 1837, après la mort de Langlois.

 

HL – Que sait-on de leurs rapports à travers la correspondance de Flaubert ?

GP – Langlois est cité douze fois dans la Correspondance publiée de Flaubert. Lors de l’exposition, à l’hôtel de Ville de Rouen, des œuvres de Langlois, en mai 1867, Flaubert propose de faire un discours (qu’il ne prononcera pas) où il aurait pu présenter Langlois « comme l’idéal de l’artiste pauvre en province ». L’extrême dénuement dans lequel a vécu Langlois (père de nombreux enfants, marié à une épouse alcoolique) a, en effet, scandalisé Flaubert. Il en fait le reproche aux édiles rouennais dans sa Lettre à la Municipalité de Rouen : « Ne parlez jamais de ce noble artiste ! Sa vie a été une honte pour ses concitoyens ». Le « père Langlois » est encore évoqué plusieurs fois par Flaubert, en particulier vers la fin de sa vie où il se souvient, avec nostalgie, du « vieux temps du père Langlois ».

 

Portrait de Gustave Flaubert, à 9 ans, dessiné par E. H. Langlois (Bibliothèque municipale de Rouen).

 

HL – Sur quels aspects peut-on voir que leurs univers et même certains côtés de leurs vies étaient extrêmement proches ?

L’importance de l’influence de Langlois sur Flaubert a récemment été mise en valeur par les travaux d’Yvonne Bargues-Rollins[1] et par une journée d’études que j’ai organisée en 2019 avec les Amis de Flaubert et de Maupassant en compagnie d’un autre collectionneur, Monsieur Coulot [2]. Langlois est mort, assez tragiquement, alors de Flaubert n’avait que 16 ans mais il a eu le temps, par l’exemple, le dialogue, par ses dessins et ses écrits, d’imprimer profondément le cerveau du jeune écrivain sur quelques idées fondamentales autour des vanités de ce monde, sur la bêtise humaine et surtout sur la mort qui a été fortement présente dans l’œuvre des deux hommes. Et ce n’est pas du tout un hasard que l’un des premiers textes de jeunesse de Flaubert soit La Danse des mort, le titre même de l’œuvre majeure de Langlois, que Gustave écrit quelque mois après sa mort, en 1837.

 

La jeune fille et la mort, gravure de Brevière d’après un dessin de E. H. Langlois. Paru en frontispice du second tome de l’Essai… sur les danses des morts, Rouen 1852.

 

 

 

HL – Quelles traces peut-on relever de son influence artistique et littéraire dans l’œuvre de Flaubert et notamment dans La Légende de saint Julien l’Hospitalier ?

La présence ou l’influence de Langlois se retrouve directement ou indirectement dans presque toutes les œuvres de Flaubert, dans le traitement de la mort en particulier. Dans son œuvre de jeunesse Mémoires d’un fou, Flaubert recopie avec quelques variantes des phrases de l’Hymne à la cloche de Langlois, une petite brochure qu’il possède et dans les dernières pages de laquelle il s’exercera à peaufiner sa jeune signature.

Un de ses derniers écrits La légende de saint Julien l’Hospitalier, lui a été inspiré, selon Maxime Du Camp, lors d’une visite à Caudebec-en-Caux en compagnie de Langlois. La seule illustration qu’il a accepté dans ses œuvres est un dessin du vitrail de ce saint en la cathédrale de Rouen, dessiné et gravé par sa fille, Espérance.

 

Dessin du vitrail de Saint-Julien l’Hospitalier, dessiné et gravé par Espérance, la fille de Langlois.
Flaubert, exceptionnellement, avait souhaité que ce dessin illustre sa nouvelle dans les Trois contes (Coll. G. Pessiot).

 

HL – Quelle est la postérité d’Eustache-Hyacinthe Langlois ?

GP – Même si plusieurs rues, plusieurs établissements d’enseignement portent son nom, à Pont-de-l’Arche, où il est né et à Rouen, où il est décédé, cet artiste est un peu oublié de nos jours, sauf, bien entendu, dans le milieu des spécialistes de l’Histoire de l’Art.

Il est a noté cependant que cela n’a pas été du tout le cas, au XIXe, durant toute la vie de Gustave Flaubert. En effet nombreuses furent les personnes qui, après la mort du grand dessinateur, voulurent en entretenir la mémoire, en publiant ses livres et ses dessins. Plusieurs de ces personnes ont été des proches de Flaubert, dont les frères Frédéric et Alfred Baudry et son propre frère, Achille.

 

Frontispice de la brochure l’Hymne à la cloche de Langlois, Rouen, 1832.
Flaubert jeune, sur son exemplaire, réalisa des essais de signature.

 

Pour terminer, je tiens à remercier mon amie Elisabeth Brunet, libraire et éditrice, d’avoir été à l’origine de ce projet d’exposition à l’Hôtel Littéraire Gustave Flaubert de Rouen.

 

Propos recueillis par Hélène Montjean

 

[1] Yvonne Bargues-Rollins, Le Pas de Flaubert : une danse macabre, Honoré Champion, Paris, 464 p, 1998

[2] Cahiers Flaubert Maupassant, n° 37, 2019, p. 5 à 162.