Les Éditions Bartillat publient un roman inédit de Natalie Clifford Barney, L’adultère ingénue, dont l’édition a été établie par Francesco Rapazzini.

L’Hôtel Littéraire Le Swann s’est associé à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet pour présenter une exposition autour de cette femme de lettres exceptionnelle, à visiter jusqu’au 22 octobre.

 

Entretien avec Francesco Rapazzini et présentation de l’exposition.

 

 

Natalie Clifford Barney, L’adultère ingénue.
Manuscrit autographe. [1911-1912] 129 feuillets.
Chancellerie des universités de Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet

 

 

HL – Avant de travailler sur la figure de Natalie Clifford Barney, il convient de rappeler que vous vous êtes intéressé à de nombreuses figures féminines du début du XXe siècle. Pourriez-vous nous redire les noms de ces “femmes artistes et indomptables” qui ont fait l’objet de vos livres, préfaces ou articles, et ce qui vous fascine chez elles ? 

FR – A part les articles, des centaines, j’ai écrit quelques livres sur des femmes artistes, de grandes artistes, qui ont été oubliées après leur mort. L’une d’elles a été la chanteuse Damia, la « tragédienne de la chanson française », une immense figure de l’entre deux guerres dont Piaf a pris la place. Puis il y a eu la peintre Gerda Wegener, la romancière et poétesse Lise Deharme, et encore Marcelle Routier, Lucie Delarue-Mardrus, Anton Prinner, Elisabeth de Gramont… Bref, ce qui me fascine en elles ce n’est pas seulement leur expression artistique, toujours à un très haut niveau, et leurs trajectoires de vie incroyables mais aussi et surtout la question que je me pose à chaque fois : pourquoi cet oubli ? Pourquoi leur art a été comme effacé, presque nié par les générations qui ont suivi ? La société patriarcale est certainement responsable, mais elle n’a pas non plus toutes les fautes.

 

 

Natalie Clifford Barney allongée sur une peau d’ours par Otto
Photographie – Cliché pris à Paris.
Chancellerie des universités de Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet

 

HL – Vous venez d’établir l’édition du premier roman de Natalie Clifford Barney, L’Adultère ingénue, pour les éditions Bartillat, à partir du manuscrit conservé par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet qui possède le fonds de cette éminente femme de lettres. Pourriez-vous revenir sur l’intérêt de ce roman ?

FR – C’est un roman très important dans la littérature féminine et lesbienne du XX siècle. Natalie Barney l’a écrit en 1912, il y a donc cent dix ans, et il n’a pas pris une ride. Mieux : il est extrêmement moderne, si vous me permettez ce mot. Moderne par la façon dont il décortique le sentiment amoureux : il le fait avec une analyse extraordinaire et une intelligence inouïe. Un véritable chef-d’œuvre dans lequel l’amour est porté à une incandescence qui emmène à l’ascèse, certes, mais aussi à un déchainement au sens dionysiaque du terme. Pour Natalie on naît pas transgenre, on le devient par la force de l’amour, l’amour fait de transmutations. Le sous-titre de ce roman est Étude d’une passion et chaque passion est composée de mille et mille passions.

 

 

 

 

 

HL – À l’occasion du lancement du livre, l’Hôtel Littéraire Le Swann abrite jusqu’au 21 octobre une petite exposition consacrée à Natalie Clifford Barney, grâce à ses collections de livres et de photographies ainsi qu’aux prêts de manuscrits, lettres et photos consentis par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. De précieux envois signalent l’importance de Natalie Clifford Barney dans le monde des lettres et ses amitiés : Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar, Marie Laurencin et Simone André Maurois. Sa correspondance avec Marcel Proust et Elisabeth de Gramont est également mise à l’honneur.

Ce genre d’exposition est-il une première et vous paraît-il opportun pour mettre en lumière le rôle central de l’Amazone et de ses compagnes dans le monde artistique de leur époque ?

FR – Absolument oui ! Il est toujours difficile de monter une exposition autour d’un écrivain, mais vous y avez réussi pleinement. Natalie Barney a été un écrivain mais aussi une femme qui a fait beaucoup du bien pour les arts en général. Elle a tenu un salon littéraire et artistique très important de 1910 jusqu’en 1939 : c’était un lieu, chez elle au 20 rue Jacob dans le VI arrondissement, où se rencontrait tout l’intelligentzia internationale, surtout féminine mais pas seulement, et où on aidait une romancière à trouver un bon éditeur, une peintre une bonne galerie, une musicienne une salle de concert.

 

Natalie Clifford Barney, Nouvelles Pensées de l’Amazone. Paris, Mercure de France, 1939.
Édition originale.
Précieux exemplaire de Marie Laurencin (1883-1956), enrichi d’un bel envoi autographe
L’exemplaire appartint ensuite à Simone de Caillavet (1894-1968), épouse d’André Maurois et porte un second envoi autographe.

 

 

 


YOURCENAR, Marguerite. Feux. Paris, Grasset, [1936].
Édition parue l’année de l’originale, portant la mention de “5e édition” sur la couverture.
Envoi autographe signé à Natalie Clifford-Barney.
La correspondance échangée par Marguerite Yourcenar et Natalie Clifford Barney (1876-1972), conservée à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, témoigne amplement de la communion par le verbe et le genre qui liait les deux femmes, ainsi que de l’admiration de Natalie pour sa cadette.  Au-delà de la poésie, de l’écriture, de Renée Vivien même, Natalie
Barney fut, pour Yourcenar, un modèle.

 

 

HL – Gallimard a réédité la correspondance amoureuse de Liane de Pougy et de Natalie Clifford Barney en 2019, et Bartillat vient de publier une série d’articles de Liane de Pougy intitulé “Dix ans de fête”. Que pensez-vous du regain d’intérêt et des publications autour de ces femmes de lettres homosexuelles du début du XXe siècle et de leur qualités littéraires ?

FR – Il y a deux aspects qu’il faut garder séparés : la qualité littéraire de ces écrits et leur sujet lesbien. Déjà pour leur seule qualité littéraire je dirais qu’il est presque juste qu’ils soient publiés – et la maison d’édition Bartillat le fait merveilleusement bien.  Pour ce qui concerne le sujet lesbien, ces livres apportent une lumière nouvelle sur le monde homosexuel féminin – encore peu ou prou exploré – de la Belle Époque. Ces deux livres brisent tous les clichés souvent véhiculés par la littérature masculine de ces années-là.

 

 

 

Virginia Woolf. Journal d’un écrivain. Monaco, Éditions du Rocher, [1958].
Édition originale de la traduction française par Germaine Beaumont.
Envoi autographe signé de la traductrice.

 

Propos recueillis par Hélène Montjean