« Giovanni Bellini, influences croisées »

Depuis le 3 mars 2023, le musée Jacquemart-André rend hommage à l’un des plus grands peintres vénitiens de la Renaissance à travers une très belle exposition.

Il s’agit de la première proposée en France sur cet artiste, à voir absolument avant le 17 juillet 2023 et la fermeture du musée pour travaux.

 

 

 

Giovanni Bellini, Proust et Venise

 

Les amoureux de Venise n’ignorent pas le singulier pèlerinage qui consiste à se rendre à différents endroits de la ville pour contempler les sublimes « Vierge à l’Enfant » de Giovanni Bellini.

Ce peintre de la Renaissance (v. 1435-1516), né et mort à Venise, a laissé à la ville ses plus grands chefs-d’œuvre.

À Venise, outre l’incontournable Polyptyque de saint Vincent Ferrier à Zanipolo (Basilique Santi Giovanni e Paolo), on peut ainsi se rendre :

 

À l’église des Frari, admirer son triptyque de la Vierge à l’Enfant (1488) :

 

 

 

 

À l’église San Zaccaria, devant La Vierge et l’Enfant avec quatre saints (1505) : 

 

 

 

 

À l’église San Francesco della Vigna (Castello), voir sa Vierge à l’Enfant avec quatre saints et le donateur (1507) :

 

 

 

Le passionné pourra ensuite gagner la Galerie dell’Accademia où sont réunis de nombreux autres modèles, comme la Madone Contarini et la Vierge aux Chérubins rouges,

 

 

 

La Vierge avec l’Enfant, entre Sainte Catherine et sainte Marie-Madeleine : 

 

 

la Vierge à l’Enfant entre saint Jean-Baptiste et une sainte, dite aussi Sainte Conversation Giovanelli, (prêtée à l’exposition Jacquemart-André) :

 

 

Giovanni Bellini, La Vierge et l’Enfant entourés de saint Jean-Baptiste et d’une sainte (Sainte Conversation Giovanelli), vers 1500, tempera et huile sur bois, 54 x 76 cm, Gallerie dell’Accademia, Venise,
© G.A.V.E Archivio fotografico – su concessione del Ministero della Cultura

 

La Vierge à l’Enfant entre sainte Catherine et sainte Marie Madeleine et le sublime Retable de Saint-Job (Pala di San Giobbe) : Vierge à l’Enfant avec six saints et des anges musiciens.

 

 

 

 

On se souvient de l’évocation de ces anges musiciens par Proust dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs :

« Il y avait dans le gazouillis de ces jeunes filles des notes que les femmes n’ont plus. Et de cet instrument plus varié, elles jouaient avec leurs lèvres, avec cette application, cette ardeur des petits anges musiciens de Bellini, lesquelles sont aussi un apanage exclusif de la jeunesse. »

 

Un peu plus loin, dans La Prisonnière, Proust revient sur le thème de l’ange musicien, en y associant un autre ange de Mantegna, beau-frère du peintre qu’il admirait tout autant :

« Enfin le motif joyeux resta triomphant, ce n’était plus un appel presque inquiet lancé derrière un ciel vide, c’était une joie ineffable qui semblait venir du Paradis ; une joie aussi différente de celle de la sonate que, d’un ange doux et grave de Bellini, jouant du théorbe, pourrait être, vêtu d’une robe d’écarlate, quelque archange de Mantegna sonnant dans un buccin. Je savais que cette nuance nouvelle de la joie, cet appel vers une joie supraterrestre, je ne l’oublierais jamais. Mais serait-elle jamais réalisable pour moi ? »

 

Les amateurs trouveront encore bien d’autres “Vierges à l’Enfant” de Giovanni Bellini à Venise, au musée Correr et à la Fondation Querini-Stampalia.

Proust évoque encore deux fois Bellini dans la Recherche, mais cette fois en parlant des œuvres peintes par son frère Gentile.

C’est la fameuse comparaison de Bloch avec le Portrait de Mahomet II :

 

 

« Un dimanche, pendant ma lecture au jardin, je fus dérangé par Swann qui venait voir mes parents.

« Qu’est-ce que vous lisez, on peut regarder ? Tiens, du Bergotte ? Qui donc vous a indiqué ses ouvrages ? » Je lui dis que c’était Bloch.

« Ah ! oui, ce garçon que j’ai vu une fois ici, qui ressemble tellement au portrait de Mahomet II par Bellini. Oh ! c’est frappant, il a les mêmes sourcils circonflexes, le même nez recourbé, les mêmes pommettes saillantes. Quand il aura une barbiche ce sera la même personne. En tous cas il a du goût, car Bergotte est un charmant esprit. »

Proust, Du côté de chez Swann

 

Une autre fois, Proust se réfère au célèbre Saint Marc prêchant à Alexandrie, en se souvenant de

« ces gravures anciennes de la Cène ou ce tableau de Gentile Bellini dans lesquels l’on voit en un état qui n’existe plus aujourd’hui le chef-d’œuvre de Vinci et le portail de Saint-Marc. »

Proust, Du côté de chez Swann

 

 

 

Dans son remarquable ouvrage, qui s’apparente à une somme définitive sur le sujet, D’étoiles en étoiles. Proust et les Arts publié aux éditions Hazan (2022), Thierry Laget livre une très belle remarque sur les couleurs des artistes à Venise telles qu’elles sont évoquées dans la Recherche :

« Tous ces artistes ont laissé sur la toile du récit le souvenir d’une touche de couleur, et c’est ainsi que Proust se les remémore, de loin en loin, dans chaque partie de son livre : le rose cerise de Tiepolo, l’écarlate de Bellini, le rouge des fresques de Giorgone, l’émeraude de Titien, le « ciel incarnat et violet » de Whistler, le bleu et l’or de Fortuny… »

 

 

 

L’exposition du musée Jacquemart-André a choisi de s’intéresser aux « influences croisées » reçues par Giovanni Bellini.

On discerne les progrès et les évolutions, du maître vénitien, depuis l’atelier familial de son père Jacopo et de son frère Gentile aux nouveaux modèles padouans proposés par son beau-frère Andréa Mantegna et le sculpteur florentin Donatello.

Bellini laisse place tour à tour aux réminiscences des icônes byzantines (la chute de Constantinople intervient en 1453), puis aux nouvelles techniques picturales venues des Flandres grâce à Jan Van Eyck et Hans Memling, se concentre sur le colorito grâce à l’arrivée d’Antonello de Messine, travaille ses paysages à la suite de Cima de Cogliano, et s’intéresse au style vibrant de la nouvelle garde : Giorgone et Titien.

 

L’exposition dévoile une très belle série de chefs-d’œuvre, parmi lesquels se détachent le Christ mort soutenu par deux anges  (prêté par la Gemäldegalerie, Berlin) et la Dérision de Noé, venu du Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon, l’un des derniers tableaux du maître, dans lequel l’historien Roberto Longhi voyait une œuvre inaugurale de la peinture moderne.

 

Giovanni Bellini, L’ivresse de Noé, vers 1513-15, huile sur toile, 103 x 157 cm,
Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, Besançon,
Photo : © Besançon, musée des beaux-arts et d’archéologie – Photographie C2RMF Thomas Clot

 

 

L’exposition bénéficie de prêts exceptionnels de la Gemäldegalerie de Berlin, et notamment du Petit Palais de Paris, du Museo Thyssen-Bornemisza de Madrid, de la Galleria Borghese de Rome, du Museo Correr, des Gallerie dell’Accademia et de la Scuola Grande di San Rocco de Venise, du Musée Bagatti Valsecchi de Milan entre autres, ainsi que de nombreux prêts de collections privées.

Réservation et billetterie : https://www.musee-jacquemart-andre.com/fr/giovanni-bellini

 

 

 

Hélène Montjean