Clément Bénech, journaliste et écrivain, vient de publier un nouveau roman : Un vrai dépaysement (Flammarion 2023) qui a pour cadre l’Auvergne et fourmille de références littéraires et vialattiennes.
Pour l’écrire, il a séjourné plusieurs mois à l’Hôtel Littéraire Alexandre Vialatte à Clermont-Ferrand en tant qu’auteur en résidence. Rencontre.

Photo : Céline Nieszawer © Flammarion
HL – Pourriez-vous nous raconter votre parcours littéraire, pour arriver jusqu’à votre quatrième roman “Un vrai dépaysement” (Flammarion 2023) ?

 

CB – Un vrai dépaysement est mon quatrième roman. Il fait suite à L’Été slovène (2013), Lève-toi et charme (2015), Un amour d’espion (2017), tous trois chez Flammarion, et à un petit essai, Une essentielle fragilité : le roman à l’ère de l’image (2019), publié chez Plein Jour. Il y a eu une longue pause entre cet essai et mon nouveau roman, publié en janvier 2023, pause qui ne doit rien à la crise sanitaire, et tout à une bifurcation personnelle, du roman d’amour à la première personne vers cette nouvelle forme d’écriture plus proche de la comédie, très dialoguée. Cette bifurcation est coûteuse en énergie intérieure, comme il est coûteux pour un véhicule de tourner. Elle va aussi avec une redéfinition de soi, à l’heure où je me lance dans une nouvelle pratique d’écriture, celle du stand-up.

 

HL – Pour épigraphe, vous avez choisi Alexandre Vialatte avec cette citation de L’Auvergne absolue  : “Ce qui fait le caractère de l’Auvergne, c’est son caractère auvergnat : son lit breton, sa musette écossaise. […] Le folklore n’a pas de patrie. Et il est vrai qu’une huche provençale à côté d’un bahut de Quimper suffit à composer une auberge normande. Particulièrement à Montmartre.” Pourquoi l’Auvergne et pourquoi Vialatte ?

 

CB – Je pourrais dire très simplement que l’Auvergne est une région que je connais et que j’aime, que j’aimerais mieux connaître pour encore mieux l’aimer. Or situer un roman quelque part, c’est accepter, et même souhaiter, d’y passer mentalement un certain temps, dans mon cas quatre années. C’est une résidence mentale, sinon physique. Cette phrase de Vialatte parodie bien notre rapport parfois crispé ou halluciné à nos identités, sujet qui occupe une partie du roman. Il se trouve que par hasard, elle reprend un certain nombre d’endroits où j’ai écrit ce livre : la Normandie, l’Auvergne, la Provence lors de trois résidences, et Montmartre pour mon dernier domicile parisien.

 

Vialatte est un fleuve auquel me ramènent de nombreux ruisseaux différents : l’Auvergne, certes, mais aussi Pierre Desproges, la langue allemande, Éric Chevillard, et d’autres auteurs que j’aime et qui l’ont aimé eux-mêmes. J’aime qu’il soit à la fois l’écrivain auvergnat par excellence et quelqu’un qui n’est pas né en Auvergne. Cela dit quelque chose de l’accueil offert par cette région, mais aussi d’un certain imaginaire de l’intégration, qui lui faisait écrire : “Comment devient-on auvergnat ? On ne l’est pas de naissance, pas complètement ; on l’apprend par contact, par amusement, par contagion, par osmose, par goût du chevreton…”

 

 

HL – Le personnage de Romain d’Astéries, jeune professeur plein d’idéal et enthousiaste pour toutes les formes de pédagogies nouvelles, est particulièrement réussi ; à la fois agaçant par son obstination à vouloir mettre en place ses méthodes révolutionnaires dans un lycée auvergnat dont il ignore tout, la région comme les hommes ; mais finalement touchant par sa capacité à “réveiller” le bourg de Chaudezat, tels les Copains de Jules Romains partant en guerre contre Ambert et Issoire. 
Il y a-t-il un peu de vous dans ce héros, “lointain cousin de Don Quichotte” ?

 

CB – Il y a un peu de moi dans Romain, comme dans tous les personnages du livre : ce résidu d’empathie est nécessaire, il permet de ne jamais perdre de vue que, malgré les apparences, la plupart des gens ont l’impression d’agir pour le bien. D’où beaucoup d’incompréhensions, comme il peut y en avoir dans mon roman. De Romain, j’ai connu l’idéalisme qui vous tient éveillé jusque tard dans la nuit, ces idées dont on croit qu’elles vont bouleverser la surface de la terre, et dont il ne reste rien lors du dégrisement du lendemain… Et Don Quichotte est un personnage qui m’est cher, car j’ai tant fréquenté la fiction que je l’ai parfois confondue avec la vie.

 

La carte dans Les Copains. Film d’Yves Robert
Source : https://spacefiction.fr/2020/06/12/on-rebat-les-cartes-avec-jules-romains-1-les-copains/

 

HL – Les personnages secondaires qui entourent Romain sont tout aussi réjouissants ; particulièrement le couple singulier formé par le beau professeur de sport, Fabien, et la jeune professeur de maths, Julie, qui l’aident dans ses entreprises farfelues, ou encore la principale, Mlle Combes, dont la sévérité et la classicisme contrebalancent parfaitement ses ardeurs pour la nouveauté et l’exotisme, quels qu’ils soient. Comment avez-vous imaginé cette galerie de portraits qui permet de mieux souligner la figure de Romain ?

 

CB – Dans une comédie, il faut forcément une opposition de points de vue forte, et l’idéalisme révolutionnaire de Romain impliquait la création d’un personnage opposé, mademoiselle Combes. Elle m’a été inspirée de ma maîtresse de CM2, mais aussi de personnages fictifs comme Dolores Ombrage dans Harry Potter, sans compter plein de petits détails empruntés çà et là. Le professeur de sport ressemble fort à un professeur que j’ai vraiment eu au lycée. Et le roman crée lui-même des déterminations : Romain ne pouvait pas monologuer, je ne pouvais pas entrer dans ses pensées, par le mode de narration que j’avais choisi ; il fallait donc quelqu’un pour dialoguer, un Sancho Pança en quelque sorte. Ce serait Fabien Bedenne (Pança veut dire bedaine en espagnol). Un personnage peut naître d’une simple vacuole à combler.

 

HL – Vous avez la gentillesse de citer l’Hôtel Littéraire Alexandre Vialatte, dans lequel vous avez séjourné quelques mois en tant qu'”auteur en résidence” pour l’Université de Clermont. Qu’avez-vous pensé de cette expérience immersive chez Vialatte à Clermont-Ferrand et vous-a-t-elle donné l’idée de ce roman dédié à l’Auvergne ?

 

CB –  J’ai beaucoup apprécié mon séjour à l’hôtel Vialatte de Clermont-Ferrand, entre gentillesse à tous les étages et disponibilité pour m’aider à mener à bien mon projet. J’ai goûté la profondeur avec laquelle avait été menée cette entreprise de transformer un hôtel en hôtel littéraire : la chose est faite de telle sorte que la littérature se dégage de partout. Le rez-de-chaussée est un véritable musée, c’est un environnement exceptionnel et un des lieux les plus agréables pour travailler à Clermont-Ferrand. L’idée de l’Auvergne pour cadre de mon roman est antérieure à mon séjour au Vialatte, en revanche ce séjour m’a donné envie d’ajouter une scène placée à Clermont-Ferrand, scène qui n’est apparue que très tardivement dans les versions du livre (4 en tout, très différentes les unes des autres).

 

Hôtel Littéraire Alexandre Vialatte

 

HL – “Pascal, Chamfort, Vialatte… Que des laconismes, que des lapidaires sous nos latitudes. Je me demande s’il n’y a pas dans l’air de ce pays quelque chose qui pousse à faire bref, à abréger sa mouture. Vous ne croyez pas ?” demande l’un de vos personnages.

Êtes-vous d’accord avec cette remarque et que pouvez-vous nous dire sur Pascal, dont nous célébrons les 400 ans cette année ?

 

CB – Je partage cette remarque de mademoiselle Combes comme constat, mais comme elle je serais bien incapable de donner une raison à ce laconisme, sans tomber dans une essentialisation que je brocarde un peu dans mon livre – à l’exception de celle, hautement parodique, de Vialatte lui-même. Pascal est un auteur qui m’est très cher : une de ses pensées figure d’ailleurs dans le livre. Cette pensée, qui donne une des clés du livre, se trouvait dans un premier temps en épigraphe du roman, mais j’ai craint qu’elle ne donne une idée trompeuse du contenu du livre et de sa tonalité : “L’imagination a ses fous et ses sages, et rien ne nous dépite davantage que de voir qu’elle remplit ses hôtes d’une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison.” Si c’est l’idée de divertissement qui m’a le plus profondément marqué chez Pascal, ici c’est sa conception de l’imagination comme “ennemie de la raison”, comme “maîtresse d’erreur et de fausseté” qui a imprégné le livre et le personnage principal notamment.

 

 

Propos recueillis par Hélène Montjean