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Grâce à l’invitation du président de la Société des Amis de Marcel Proust, Jérôme Bastianelli, brillant et infatigable maître d’œuvre des réjouissances proustiennes de France et d’Eure-Et-Loir, les Hôtels Littéraires se sont rendus avec émotion à Illiers-Combray le 23 avril pour le vernissage de la nouvelle exposition organisée à la Maison de Tante-Léonie – Musée Marcel Proust. En compagnie d’Antoine Gallimard, de spécialistes comme Mireille Naturel et de passionnés, l’occasion était belle d’aller découvrir le berceau familial de l’écrivain en même temps qu’une présentation de pièces exceptionnelles.

 

 

Intitulée “Marcel Proust prix Goncourt 2019”, l’exposition réunit de précieux documents consacrés à l’obtention de la prestigieuse récompense par l’écrivain pour le deuxième volume d’A la recherche du temps perdu, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, le 10 décembre 1919.

Le bijou de l’exposition est sans aucun doute le portrait mythique de Jacques-Emile Blanche, joliment appelé “la Joconde des Proustiens” par Jean-Yves Tadié, prêté pour l’occasion par le Musée d’Orsay et installé pour la première fois dans la Maison de Tante-Léonie. Les Hôtels Littéraires ont la fierté d’être partenaires et mécènes de cet événement.

 

Portrait de Marcel Proust par Jacques-Emile Blanche, juillet 1882. Huile sur toile, Musée d’Orsay.

Non loin du tableau figure une lettre du peintre à l’écrivain datée de mai 1920 dans laquelle il lui déclare : “Je suis convaincu que vous êtes le plus important, sinon le seul “créateur” d’aujourd’hui en France. Je le dis partout et l’écrirai tant que je pourrai. Ce n’est pas pour vous êtes agréable. Je ne sais pas être agréable, je suis comme je suis et désolé quand je fais de la peine, mais incapable de feindre.” (Lettre de J-E Blanche à Marcel Proust, mai 1920).

Dans la vitrine voisine, on trouve une autre pièce remarquable :

Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Editions de la Nouvelle Revue française, 1920. Exemplaire n°I, issu de la vente de la Bibliothèque de Pierre Bergé de l’édition de luxe sur papier bible du chef-d’œuvre de Marcel Proust, vendue par souscription et imprimée en feuilles.

C’est bien ce deuxième tome, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, qui vaudra à Proust la notoriété après la relative indifférence dans laquelle était tombé Du côté de chez Swann, édité à compte d’auteur chez Grasset en 1913 juste avant la guerre après avoir essuyé plusieurs refus, dont celui des éditions Gallimard. Celles-ci n’auront de cesse de se faire pardonner cette grossière erreur auprès de l’écrivain et de le convaincre de rejoindre leur maison. Il faut souligner le rôle essentiel du critique Jacques Rivière, secrétaire de la NRF, le premier à comprendre l’importance de Proust et la portée de son œuvre : “Croyez-moi : plus tard, ce sera un honneur d’avoir publié Proust.” (Lettre à Gaston Gallimard, avril 1914).

L’exposition dévoile ainsi le contrat d’édition signé par Gaston Gallimard et Marcel Proust pour A la recherche du temps perdu et pour Pastiches et mélanges en juin 1918 :

 

On contemple avec beaucoup d’émotion deux des fameux “placards” d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs, c’est-à-dire les feuillets d’épreuves avec corrections autographes, dont s’enorgueillit la Maison Tante-Léonie. Surtout celui récemment acquis par la Société des Amis de Proust et pour lequel l’écrivain lui-même avait déclaré son enthousiasme : “Le manuscrit… malgré mon affreuse écriture… est ravissant et a l’air d’un palimpseste à cause de la personne qui les collait avec un goût infini” (lettre à Mme Schiff).

 

Il s’agit de dix pages de l’édition originale des Jeunes Filles, décrivant les habitudes de Madame de Villeparisis au Grand Hôtel de Balbec.

Du côté du prix Goncourt à proprement parler, on s’attarde devant la lettre des huit jurés annonçant l’attribution du prix à Marcel Proust. On sait que le choix fut délicat avec le grand favori Roland Dorgelès et ses Croix de bois, hommage aux soldats héroïques de 1914-1918, mais la ferveur des amis de Proust menés par un Léon Daudet déterminé – le fils d’Alphonse et le frère de Lucien – permit d’emporter l’affaire.

L’un des jurés, J.-H Rosny aîné, lui avait auparavant écrit son admiration et promis sa voix dans une jolie lettre : “Vous avez ajouté quelque chose à mon univers humain ; depuis longtemps, je n’avais fait si beau voyage. […] Et je vous dois, mieux que du plaisir, je vous dois de la gratitude pour avoir apporté ce renouveau de jeunesse dans cette littérature dont je suis saturé…”

Proust lui répondra, touché de ce témoignage et désireux de prouver son intérêt pour le prix Goncourt. Il répond notamment à l’objection qui reviendra souvent concernant son âge (47 ans) alors que la récompense devrait revenir à un jeune écrivain selon le testament des Frères Goncourt. Mais rappelons les termes exacts de celui-ci : “Mon vœu suprême, vœu que je prie les jeunes académiciens futurs d’avoir présent à la mémoire, c’est que ce prix soit donné à la jeunesse, à l’originalité du talent, aux tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme. Le roman, dans des conditions d’égalité, aura toujours la préférence.”

Léon Daudet peut ainsi clore le débat :

 

Une vitrine regroupe des coupures de presse révélatrices du choc causé dans les milieux littéraires car le choix du Goncourt indigna et surpris beaucoup ; il s’agit d’un “ensemble exceptionnel d’articles issu de la collection personnelle de Marcel proust, qui était abonné au “Courrier de la presse” et recevait donc à ce titre toutes les coupures où son nom se trouvait cité. En lisant ces échos et ces recensions, on constate à quel point la critique fut sévère et peu lucide à l’égard du lauréat. Son âge, son écriture analytique, son milieu, le tort qu’il cause à Dorgelès par l’obtention de ce prix sont les principaux griefs qui lui sont faits... […] Sur cet ensemble, un petit tiers des articles sont toutefois favorables, saluant une œuvre novatrice, ouvrant l’horizon littéraire.”

 

 

Il ne reste plus qu’à se précipiter sur le nouveau livre de Thierry Laget, par ailleurs président des Amis de Jacques Rivière, intitulé Proust prix Goncourt, une émeute littéraire aux éditions Gallimard, pour tout connaître sur la passionnante histoire de ce couronnement littéraire.

Et si vous hésitez encore à faire le voyage pour Illiers-Combray, saisissez l’occasion de vous inscrire aux innombrables animations du Printemps Proustien qui aura lieu du 11 au 19 mai en Eure-et-Loir pour célébrer le centenaire d’un prix Goncourt historique.

 

Hélène Montjean