Marcel Aymé et le Diable par Philippe Dufresnoy,
secrétaire général de l’Association des Amis de Marcel Aymé
En 1928, Marcel Aymé tire encore le diable par la queue : il est en train de consolider la possibilité de vivre de sa plume. Il affermit sa carrière d’écrivain en publiant son troisième roman, Les Jumeaux du Diable ; c’est le deuxième chez Gallimard.
Or, le livre se vend mal et Marcel Aymé, qui apprend aussi la relation avec un éditeur, s’en ouvre par téléphone puis par un courrier énergique du 16 juillet 1928 en donnant du « Monsieur » à G. Gallimard :
« M. Parain m’ayant informé « qu’il m’avait déjà obtenu 300 + », j’ai été ému par le sens philanthropique de cet octroi qui m’était révélé. D’où mon exclamation. Ce qui me navre, de votre lettre amicale, c’est que vous ne prévoyez pas de « rentrées ». C’est autant dire que mes jumeaux sont poussifs, voués à la poussière et au tirage dérisoire – des jumeaux honteux qui vont compromettre le Diable. C’est ennuyeux (…) je suis touché par la grâce des contrats ».
Gaston Gallimard lui répond le 25 juillet 1928 davantage en chef d’entreprise qu’en membre du comité de lecture, dans ce qui est une véritable leçon d’édition, consistant à rappeler que le diable se cache dans les détails : pour sa part, il donne dans le « Cher Monsieur » (les correspondances ultérieures passeront au « Cher ami ») :
« Je ne comprends pas bien l’ironie de votre lettre (…) il n’est pas en mon pouvoir d’obtenir seul le succès que nous sommes deux à désirer. Il ne s’agit pas ici de qualité mais d’une certaine valeur marchande qui est souvent en opposition avec la valeur littéraire. A cela, je ne puis rien, ni la publicité (…) en fin de compte, les avances doivent être balancées par des rentrées ».
Marcel Aymé reconnaîtra que Les Jumeaux du Diable étaient « un très mauvais roman », interdisant sa republication.
Mais le diable s’éloignera, car après le succès, couronné par le prix Renaudot, de La Table aux Crevés, G. Gallimard lui versera une mensualité (à peine perturbée par les événements à l’automne 1939) et dira, si l’on en croit Pierre Assouline dans sa biographie de Simenon :
« Marcel Aymé est mon auteur préféré, il ne m’a jamais emmerdé ».
Philippe Dufresnoy