Une lecture du prix Alexandre Vialatte 2025, par Hélène Montjean
Un effondrement parfait de Jérôme Leroy – La Table Ronde, 2025
« Je ne vais pas raconter d’histoire, pour une fois. »
Dans son nouveau livre, tout juste auréolé du prix Alexandre Vialatte, Jérôme Leroy en livre une série, qui sont autant de confidences et d’instants choisis. Il invite le lecteur à remonter avec lui, dans un ordre aléatoire, le cours de ses cinquante et quelques étés, livrant par fragments intimes ses moments d’inquiétude, de réconfort et de fantaisie.
Il partage avec Vialatte ce goût de l’incongru, en même temps qu’une amitié indéfectible pour Valéry Larbaud et les sous-préfectures. Ses chroniques sont elles aussi remplies de poésie, d’un humour léger et de la nostalgie des amours adolescentes. Il y fait l’inventaire de ses joies et de ses déplaisirs, s’enthousiasme de la rencontre d’un mot rare, « comme un joli caillou ramassé sur le chemin », dont on admire longtemps le poli et les nervures.
L’écrivain s’abandonne à la douceur des choses en compagnie de ses poètes – Toulet, Nerval, Rimbaud -, et de ses romanciers – Chardonne, Nabokov, Dhôtel.
Il lui prend des envies étranges et frivoles, comme d’entrer physiquement dans son film préféré, ou dans un tableau aimé ; de pouvoir devenir invisible pendant un déjeuner désagréable ; de poursuivre une apparition proustienne sur les bords de la Vivonne.
Il aime les bouquinistes et les vieilles couvertures du Livre de Poche, avec une prédilection pour les romans de Pierre Benoît et un Dumas agrémenté d’une préface de Nimier ou de Jacques Laurent. Souvent installé dans un train qui passe ou dans sa chambre d’hôtel, il nous parle de ses films et de ses chansons, de sa passion pour le roman noir. Il s’attarde sur l’importance de l’amour et de l’écriture ; se livre avec pudeur, distille quelques vers aimés et des références pour happy few.
Avec générosité, Jérôme Leroy dévoile ses remèdes personnels à la mélancolie : « Quel poème as-tu lu ce matin ? » ; en cas de tentation politique, aller à la plage ; relire les écrivains qui aiment les îles, le style et les voyages – Morand, Déon ; et quand ça va vraiment mal, se réchauffer un instant au soleil d’un accent ou d’un mot.
Avec Rimbaud, il n’a pas de meilleur souhait pour nous qu’« un été de cinquante ans ».
Plein de gratitude, le lecteur sourit beaucoup et savoure comme il se doit ces courts chapitres, suivant la méthode déjà établie pour les chroniques de Vialatte et la confiture. Il retient avec gourmandise quelques vers et les noms de nouveaux amis à découvrir, comme André Hardellet.
Et pour finir, une leçon de vie :
« Je m’en moque un peu de vieillir, si c’est en été, dans un pays où le profil des filles est le même sur des vases qui ont deux mille ans. ».