Notes de lecture : « L’affaire de la rue Transnonain » de Jérôme Chantreau – par Mathieu Prévot
Dans son superbe livre, « L’affaire de la rue Transnonain » (Éditions La Tribu, 2025), Jérôme Chantreau exhume un épisode tragique et oublié de l’histoire de France : la répression sanglante de l’insurrection ouvrière d’avril 1834, dont la fusillade de la rue Transnonain à Paris devint le symbole.
En se plaçant à la croisée de l’histoire, de la littérature et de la mémoire politique, l’auteur signe un texte qui intrigue. Ni essai historique, ni pur roman, Jérôme Chantreau adopte les codes du polar. Sous la monarchie de Juillet, il nous entraîne en compagnie de personnages célèbres, Adolphe Thiers et le Général Bugeaud, ou de figures oubliées qui se révèlent attachantes.
En redonnant vie aux victimes, l’écrivain rappelle que l’histoire officielle de ce massacre non résolu reste une tâche dans ce Paris du règne de Louis-Philippe.
On peut rapprocher l’ouvrage de Chantreau du roman de Stendhal, Lucien Leuwen dont le livre témoigne du désenchantement politique de la jeunesse à cette époque. Là où Stendhal adopte la voie romanesque pour traduire l’ennui, l’impuissance et le désarroi d’un individu face aux blocages d’une société, Chanteau choisit le documentaire et la mémoire des victimes. Les deux démarches se rejoignent dans une même intuition : celle d’un XIXe siècle traversé par la violence d’Etat et la fragilité des idéaux républicains.
— Quoi ! dit tout à coup le docteur, vous, homme bien né, avec des mœurs élégantes, de la fortune, une jolie position dans le monde, une éducation délicate, vous vous jetez dans l’ignoble juste milieu ! Vous vous faites son soldat, vous ferez ses guerres, non pas la guerre véritable, dont même les misères ont tant de noblesse et de charmes pour les cœurs généreux, mais la guerre de maréchaussée, la guerre de tronçon de chou, contre de malheureux ouvriers mourant de faim : pour vous, l’expédition de la rue Transnonain est la bataille de Marengo…..
Stendhal, Lucien Leuwen
« L’affaire de la rue Transnonain » est un livre important. Important parce qu’il évoque une période occultée ; important parce qu’il illustre la capacité de la littérature à raviver ce que le temps peut effacer. Chanteau ne propose pas seulement un récit du passé : il nous invite à réfléchir à la manière dont une société écrit – ou tait – ses propres blessures. Enfin, le lecteur ne peut s’empêcher d’y percevoir des échos contemporains, tant les débats sur la mémoire des luttes sociales et sur les représentations de la violence répressive demeurent actuels dans certains discours politiques.
À lire absolument.
Mathieu Prevot
Directeur Général Adjoint de la Société des Hôtels Littéraires