Au cours du Festival Proust de la plaine Monceau (9-22 avril 2022), “La Paris retrouvé de Marcel Proust”,

Emily Eells, professeur d’université, spécialiste notamment du lien entre Marcel Proust et la peinture, a proposé une visite “proustienne” du musée du Louvre, avec une présentation des tableaux qui inspirèrent l’écrivain.

En voici quelques extraits, grâce aux photos prises par François de Coustin.

 

 

Antoon van Dyck, “Portrait de Charles 1er, roi d’Angleterre (1600-1649), à la chasse” – musée du Louvre

 

“Douce fierté des cœurs, grâce noble des choses,

Qui brillent dans les yeux, les velours et les bois,

Beau langage élevé du maintien et des poses

– Héréditaire orgueil des femmes et des rois ! –

Tu triomphes, Van Dyck, prince des gestes calmes,

Dans tous les êtres beaux qui vont bientôt mourir…”

 

Marcel Proust – Portraits de peintres, Les Plaisirs et les Jours

 

 

Antoon van Dyck, Portrait de James Stuart, duc de Lennox (1612-1655) et premier duc de Richmond (à partir de 1641), avec les attributs de Pâris – musée du Louvre

 

“Et toi par-dessus tous, promeneur précieux,

En chemise bleu pâle, une main à la hanche,

Dans l’autre un fruit feuillu détaché de la branche,

Je rêve sans comprendre à ton geste et tes yeux :

Debout mais reposé dans cet obscur asile,

Duc de Richmond, ô jeune sage ! – ou charmant fou ? –

Je te reviens toujours… -. Un saphir à ton cou,

A des feux aussi doux que ton regard tranquille.”

 

Marcel Proust, Portraits de peintres, Les Plaisirs et les Jours

 

 

 

Paulus Potter Deux Chevaux près d’une auge devant une chaumière (1649) – musée du Louvre

 

“Sombre chagrin des ciels uniformément gris,

Plus tristes d’être bleus aux rares éclaircies,

Et qui laissent alors sur les plaines transies

Filtrer les tièdes pleurs d’un soleil incompris ;

Potter, mélancolique humeur des plaines sombres

Qui s’étendent sans fin, sans joie et sans couleur,

Les arbres, le hameau ne répandent pas d’ombres,

Les maigres jardinets ne portent pas de fleur.

Un laboureur tirant des seaux rentre, et, chétive,

Sa jument résignée, inquiète et rêvant,

Anxieuse, dressant sa cervelle pensive,

Hume d’un souffle court le souffle fort du vent.”

 

Marcel Proust, Portraits de peintres, Les Plaisirs et les Jours

 

 

 

Aelbrecht Cuyp Le départ pour la promenade à cheval vers 1660 – 1670 – musée du Louvre

 

“Cuyp, soleil déclinant dissous dans l’air limpide

Qu’un vol de ramiers gris trouble comme de l’eau,

Moiteur d’or, nimbe au front d’un bœuf ou d’un bouleau,

Encens bleu des beaux jours fumant sur le coteau,

Ou marais de clarté stagnant dans le ciel vide.

Des cavaliers sont prêts, plume rose au chapeau…”

 

Marcel Proust, Portraits de peintres, Les Plaisirs et les Jours

 

 

 

Aelbrecht Cuyp, Paysage avec trois cavaliers (1665-1670) – musée du Louvre

 

“Paume au côté ; l’air vif qui fait rose leur peau,

Enfle légèrement leurs fines boucles blondes,

Et, tentés par les champs ardents, les fraîches ondes,

Sans troubler par leur trot les bœufs dont le troupeau

Rêve dans un brouillard d’or pâle et de repos,

Ils partent respirer ces minutes profondes.”

 

Marcel Proust, Portraits de peintres, Les Plaisirs et les Jours

 

 

 

Rembrandt, Le Bœuf écorché 1655 – musée du Louvre

 

 

Rembrandt, Le Bœuf écorché 1655 – musée du Louvre
Détail : la femme qui regarde

Proust parle du regard du fond de la toile, « qui a compris et qui est doux. »

 

 

 

 

Rembrandt – La Sainte Famille avec sainte Anne, mère de la Vierge – 1640, musée du Louvre

 

Rembrandt – La Sainte Famille avec sainte Anne, mère de la Vierge – 1640, musée du Louvre
Détail  : le bord de la fenêtre

 

Proust décrit ainsi la fenêtre au Grand Hôtel, dans À l’Ombre des jeunes filles en fleurs :

« La lumière se veloutait, se dégradait, convertissant en cette ambre dorée, inconsistante et mystérieuse comme un crépuscule, où Rembrandt découpe l’appui d’une fenêtre »

 

 

La peinture hollandaise

 

Johannes Vermeer La Dentellière, que Proust appelle “l’exquise Dentellière”.
Vers 1669 – 1670, musée du Louvre

 

Pieter De Hooch Femme préparant des légumes dans la pièce arrière d’une maison hollandaise, Maison de Delft
(vers 1642 – 1661) – musée du Louvre

 

« Nous avons certains souvenirs qui sont comme la peinture hollandaise de notre mémoire, tableaux de genre où les personnages sont souvent de condition médiocre, pris à un moment bien simple de leur existence, sans événements solennels, parfois sans événements du tout, dans un cadre nullement extraordinaire et sans grandeur. Le naturel des caractères et l’innocence de la scène en font l’agrément, l’éloignement met entre elle et nous une lumière douce qui la baigne de beauté. »

Marcel Proust « Tableaux de genre du souvenir » : Les Plaisirs et les Jours

 

 

Antoine Watteau, Pèlerinage à l’île de Cythère (1717) – musée du Louvre

 

Antoine Watteau, L’indifférent (1716) – Musée du Louvre

 

“Crépuscule grimant les arbres et les faces,

Avec son manteau bleu, sous son masque incertain ;

Poussière de baisers autour des bouches lasses…

Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.

 

La mascarade, autre lointain mélancolique,

Fait le geste d’aimer plus faux, triste et charmant.

Caprice de poète – ou prudence d’amant,

L’amour ayant besoin d’être orné savamment –

Voici barques, goûters, silences et musique.”

 

Marcel Proust, Portraits de peintres, Les Plaisirs et les Jours

 

 

 


Jean-Baptiste Chardin, Le Buffet (1728) – Musée du Louvre

 

Jean-Baptiste Chardin, La Raie (1728) – Musée du Louvre

 

“Depuis que j’en avais vu dans des aquarelles d’Elstir, je cherchais à retrouver dans la réalité, j’aimais comme quelque chose de poétique, le geste interrompu des couteaux encore de travers, la rondeur bombée d’une serviette défaite où le soleil intercale un morceau de velours jaune, le verre à demi vidé qui montre mieux ainsi le noble évasement de ses formes et au fond de son vitrage translucide et pareil à une condensation du jour, un reste de vin sombre mais scintillant de lumières, le déplacement des volumes, la transmutation des liquides par l’éclairage, l’altération des prunes qui passent du vert au bleu et du bleu à l’or dans le compotier déjà à demi dépouillé, la promenade des chaises vieillottes qui deux fois par jour viennent s’installer autour de la nappe, dressée sur la table ainsi que sur un autel où sont célébrées les fêtes de la gourmandise et sur laquelle au fond des huîtres quelques gouttes d’eau lustrale restent comme dans de petits bénitiers de pierre ; j’essayais de trouver la beauté là où je ne m’étais jamais figuré qu’elle fût, dans les choses les plus usuelles, dans la vie profonde des « natures mortes ».

Marcel Proust À l’ombre des jeunes filles en fleurs