400 ans de la naissance de Pascal en 2023 – Hommage et florilège en compagnie d’Alexandre Vialatte. 

 

En 2023, la ville de Clermont-Ferrand célébrera tout spécialement les 400 ans de la naissance de l’un de ses plus illustres enfants, Blaise Pascal.

“L’effrayant génie” selon le mot célèbre de Chateaubriand, fut avec un égal succès mathématicien, physicien et inventeur, philosophe, moraliste et auteur spirituel.

De nombreux événements sont déjà au programme, avec une conférence inaugurale du mathématicien Cédric Villani au Lycée Blaise-Pascal en janvier, des colloques organisés par l’Université Clermont-Auvergne, une exposition “Les Mystères de Pascal” au musée d’Art Roger-Quilliot du 15 juin au 15 octobre 2023, du théâtre avec l’unique pièce d’Eric Rohmer, le Festival Littérature Au Centre et même un nouveau timbre de La Poste pour succéder aux anciennes versions de 1944 et 1962 :

 

 

 

Alexandre Vialatte a très souvent évoqué dans ses chroniques la figure tutélaire de son compatriote auvergnat, lui qui avait eu le regret de naître à Magnac-Laval, en Haute-Vienne ; voici un florilège de ses meilleures formules, extraites pour la plupart de L’Auvergne absolue (Julliard, 1993).

 

“Pascal aimait tellement l’Auvergne qu’il naquit à Clermont-Ferrand. C’est une ville noire comme le jansénisme, percée de rues au bout desquelles on voit le ciel comme dans les Pensées. Elle est noire parce qu’elle est en pierre de Volvic, roche ignée, dure, râpeuse, assez peu nourrissante, fille du feu des puys où va brouter la chèvre. Et elle est en pierre (de Volvic) parce que la chèvre en laisse tellement que les Auvergnats en bâtissent leurs églises, leurs Caisses d’Épargne et leurs maisons. C’est ce qui fait le poids et la solidité de cette ville sombre aux lointains vaporeux.”

 

 

“Au Pascal’s Bar, à Clermont-Ferrand, on m’ a appris que ces hommes étonnants avaient inventé le caoutchouc, le papier d’Ambert, le chapelet d’améthystes ou de poires de Jérusalem, l’eau minérale, la pierre d’Auvergne, le haquet des vinaigriers, le vin de Chanturgue, et les Pensées de Pascal. Sans compter le saint-nectaire, la fourme du Cantal, le chèvreton et la musique de Chabrier, la dentelle à la main et la truite de torrent ; que sais-je, la cabrette et la vielle. Les mœurs locales, pour tout dire en un mot. Ils aiment beaucoup les mœurs locales. Aussi, dans les grandes occasions, se réunissent-ils volontiers au théâtre pour voir danser les Parisiens, qui viennent leur apprendre la bourrée, le costume du pays, les chansons régionales, bref, la vraie façon d’être Auvergnat.”

Spectacle du Monde, décembre 1967

 

« L’Auvergne – relative, anarchique, contingente – , promue au rang d’ « Auvergne Pittoresque » est passée sur le plan de l’absolu ; elle est devenue l’Auvergne en soi ; elle a ses lois, son code et ses stations thermales, et ne demande plus qu’à figurer, comme le rugby, à la rubrique des sports de nos grands quotidiens. Vous pourrez voir dans ses galeries Desaix et Vercingétorix qui se défient du sabre et de l’index, face à face, sur la place de Jaude. Vous admirerez Pascal abîmé dans ses songes, fièrement juché sur un parterre de militaires et de bonnes d’enfants. »

 

 

 

 

« L’Auvergne n’est pas littéraire. Ce n’est pas par le mot qu’il vient à la pensée… Le génie littéraire de l’Auvergne est ailleurs. Elle pèse, elle compte, elle légifère. Elle donne naissance à cette grande lignée de juristes utilitaires qui va des Flottes à l’Hospital et au-delà. Des logiciens, des mathématiciens : Michel Rolle et Blaise Pascal. Pascal ne dit que pour l’utilité, intellectuelle ou spirituelle, jamais pour le seul plaisir d’entendre le son de sa voix. Il vient aux lettres par les sciences, des problèmes d’argent, de bénéfice ; il conduit l’homme au sacrifice en le prenant par l’appât du gain. Il inventera pour son père une machine à calculer, afin de l’aider à recueillir l’impôt ; l’argument du pari se base sur l’idée de gain. Il cherche ou donne des lois en matière de style, de physique, pour Port-Royal, pour la piété. Son éloquence n’est jamais plaisir gratuit. »

 

 

Une pascaline, signée par Pascal en 1652, au musée des arts et métiers du Conservatoire national des arts et métiers à Paris.

 

 

« Cette terre difficile qui donne des pierres précieuses, l’aventurine, la topaze, l’améthyste, ce pays de volcans est bien celui de Pascal, de la « géométrie qui prend feu. »

 

« C’est ce que nous résumerons avec tous les Français en disant que Pascal monta sur le puy de Dôme pour y inventer le baromètre. De même Vercingétorix monta sur le plateau de Gergovie pour y inventer le patriotisme. On ne saurait monter sur une cime auvergnate sans y inventer les plus grands sentiments.”

 

« Pascal est le roi et le martyr de la logique. Il en est aussi l’avocat. Isolé sur une île déserte, il plaide encore et pour et contre l’homme ; il s’accuse et il se défend, il s’exalte et il se déchire. Ce domaine de la grâce, où rien n’est plus logique selon les mesures de la raison humaine, c’est par la logique qu’il y va. »

 

« Pascal monta sur le puy de Dôme avec son nez de la grande époque, son baromètre et son génie.”

 

« Pascal naît des mathématiques qui naissent elles-mêmes de l’Auvergne par une nécessité née de la géologie. Le Dieu de Pascal sort de l’algèbre. Pascal est allé le chercher au fond du cratère du puy de Dôme. Pascal c’est le volcan maximum. »

 

 

 

« Les volcans, avec les Auvergnats, n’ont pas été perdus. Ils s’en sont adroitement servis pour chauffer leurs eaux souterraines, devenues ainsi plus commerciales, et pour inventer le baromètre, que Pascal découvrit au sommet du puy de Dôme (du moins en gros) ; pour élever à Mercure, le vrai dieu du négoce, les ruines d’un temple intimidant ; pour montrer le Mont-Blanc aux touristes et distribuer le prix des Volcans. »

 

“Il n’est rien de plus sublime que le sommet du puy de Dôme. Pascal y inventa le thermomètre (du moins en gros) ; l’aviation y bâtit des records. Les Romains y dressèrent le temple de Mercure, dieu des voleurs et du commerce de détail. La radiodiffusion y construisit une tour qui répand les nouvelles météorologiques, les chansonnettes et les débats des grands procès ; le voyageur de commerce auvergnat l’a dessiné sur son papier à lettres où il s’est représenté lui-même, vêtu comme Vercingétorix, avec le caleçon militaire et le casque à cornes d’auroch posant sa valise pour souffler et jetant un regard sur la plaine qu’il se propose de conquérir par ses produits incomparables. C’est un lieu où souffle l’esprit. C’est la capitale de l’Auvergne.”

 

« [l’Auvergnat] ne cesse de rêver d’une Auvergne étroitement associée à la France. Il lui a donné Brennus et Vercingétorix, Desaix, Pascal, Chabrier, Michel Rolle, Henri Pourrat, sans compter La Fayette. Presque Turenne, qui aurait dû naître, sans un incident, à Olliergues. L’acte de baptême était prêt. Il a le génie du droit et des mathématiques : le mathématicien Bourbaki a vu le jour à Besse-en-Chandesse, et Pascal à Clermont, dans la rue des Chaussetiers. Il est hospitalier, comprend la plaisanterie, fabrique du saucisson de montagne, du vin de Chanturgue, où il n’y a plus de vigne, du vin de Corent, où elle donne une idée de ce qu’elle fut avant le phylloxera.  Ses chapelets concurrencent le Japon. Son papier fut le premier d’Europe. La Fontaine n’en voulait pas d’autre. Ce papier a fourni le manuscrit des Pensées. »

 

 

Pensées, Pascal. Manuscrit autographe, entre 1656 et 1662, BnF.

 

“L’Auvergne est pascalienne, au fond. Son vent vous souffle les Pensées en pleine figure, et, quand il balaie l’herbe rase entre les genévriers bas, on sent passer un goût de gentiane dans son alcool, je ne sais quoi de tonique et d’amer, une sévérité qui soule.”

 

“L’homme n’est pas à l’aise sur la Terre. Il s’y tourne et il s’y retourne comme sur un lit de douleur. En cent façons. Tantôt il s’étend sur le dos, tantôt il s’appuie sur le coude, tantôt il pose un doigt sur son front dégarni : tout prouve qu’il vient alors de trouver une idée ou qu’il veut vendre un remède contre la calvitie. Des philosophes l’ont fait marcher la tête en bas, d’autres les pieds en l’air ; il n’a pas senti la différence. Pascal lui a montré les cieux ; il lui a fait regarder les étoiles avec effroi et nostalgie. Les âmes d’élite y ont trouvé leur remède ; les moins doués ont contracté le torticolis.”

Chroniques des immenses possibilités

 

À propos de Kafka :

“On songe à Proust, à Pascal et à Joyce : on pense aussi très souvent à Charlot.

Entre tous ces esprits un lien commun : l’humain. C’est l’homme qui bout dans la marmite de Kafka. Il y mijote minutieusement dans le bouillon ténébreux de l’angoisse, mais l’humour fait sauter le couvercle en sifflant et trace dans l’air, en lettres bleues, des formules cabalistiques.”

Alexandre Vialatte, Prière d’insérer pour Le Procès – 1933